Le premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, a nommé vendredi des quadragénaires à plusieurs postes clés d'un gouvernement dépourvu de poids lourds du parti au pouvoir, pour relever un pays traumatisé par un tsunami, en proie à un accident nucléaire et englué dans la récession.

Élu chef du gouvernement mardi pour succéder à l'impopulaire Naoto Kan, issu comme lui du Parti Démocrate du Japon (PDJ), M. Noda a créé la surprise en se passant de ténors du mouvement de centre-gauche. Les deux tiers de son équipe de 18 membres, dont deux femmes, sont nouveaux.

M. Noda, qui a aussi redistribué les responsabilités au sein du PDJ qu'il préside, s'est employé à ménager les susceptibilités, notamment vis-à-vis des partisans du puissant vétéran Ichiro Ozawa, dont les relations exécrables avec Naoto Kan avaient nui à l'efficacité de l'équipe précédente.

La tâche de son gouvernement s'annonce rude, six mois après le séisme et le tsunami qui ont fait plus de 20 000 morts et disparus dans le nord-est et entraîné à Fukushima le plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl (Ukraine) en 1986.

Lors de sa première conférence de presse après sa nomination officielle par l'Empereur, M. Noda a souligné que sa priorité numéro un était d'accélérer les efforts de reconstruction.

Il a en outre jugé «difficile» de construire de nouveaux réacteurs au Japon, ajoutant que ceux arrivant en fin de vie ne seraient pas remplacés.

M. Noda a toutefois précisé que les tranches actuellement arrêtées pour maintenance, et qui n'ont pas redémarré par précaution à cause de Fukushima, seraient relancées si elles passaient avec succès des tests de résistance.

Seules 20% des 54 unités nucléaires du Japon sont actuellement en exploitation, ce qui a contraint les entreprises à limiter leur consommation d'électricité cet été.

Partisan de la rigueur budgétaire, M. Noda souhaite par ailleurs une réforme fiscale pour financer la reconstruction et contenir la dette du Japon, qui représente deux fois son produit intérieur brut.

Il a toutefois précisé qu'il n'était pas favorable à l'austérité, son équipe devant sortir la troisième puissance économique mondiale de la récession.

Le premier ministre a confié le portefeuille stratégique des Finances à Jun Azumi, 49 ans, un parlementaire qui n'a jamais été membre d'aucun gouvernement, originaire de la préfecture dévastée de Miyagi (nord-est).

Il a placé un autre homme sans expérience gouvernementale, Yoshio Hachiro, 63 ans, à la tête du puissant ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (Meti).

M. Noda a de plus renforcé les prérogatives de Goshi Hosono, 40 ans, ministre chargé de gérer la crise nucléaire dans le précédent gouvernement, qui se voit confier en outre le portefeuille de l'Environnement.

Dans un monde politique nippon réputé pour ses dirigeants d'âge canonique, un autre quadragénaire, Koichiro Gemba, 47 ans, va diriger la diplomatie, mise à l'épreuve en fin d'année dernière par des crises liées à des différends territoriaux avec la Chine et la Russie.

À ce propos, M. Noda a déclaré vouloir «des relations mutuellement bénéfiques» avec la Chine et s'est engagé à ne pas se rendre au sanctuaire shintoïste de Yasukuni, où sont honorés les morts tombés pour le Japon, dont des criminels de guerre.

M. Noda a fait appel à Osamu Fujimura, 61 ans, pour le poste stratégique de secrétaire général et porte-parole du gouvernement. Proche de M. Noda, M. Fujimura est un partisan d'une reprise du pouvoir par les politiques face à une bureaucratie jugée omnipotente.

L'ancien premier ministre Naoto Kan a jeté l'éponge la semaine dernière en raison de vives critiques suscitées par sa gestion de la triple catastrophe du 11 mars.

Devenu le sixième premier ministre du Japon en cinq ans, son successeur a promis de rétablir l'unité du PDJ fissurée par l'exercice du pouvoir et de tendre la main à l'opposition conservatrice.

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Les nouveaux hommes-clés du pouvoir

OSAMU FUJIMURA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT > Osamu Fujimura, 61 ans, fut vice-ministre des Affaires étrangères, puis de la Santé, du Travail et du Bien-être. Se voulant proche du peuple, ce bon communicant pose volontiers devant les objectifs en compagnie d'électeurs auxquels il adresse régulièrement des messages via sa chaîne sur le site de partage de vidéos YouTube. M. Fujimura fustige les «vieux politiciens» clientélistes et la confiscation du pouvoir par la bureaucratie, souhaitant que «les affaires politiques reviennent dans les mains de la population».

KOICHIRO GEMBA, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES > Originaire de la préfecture de Fukushima (nord-est), Koichiro Gemba, 47 ans, a fait ses classes comme M. Noda à l'institut Matsushita de l'administration et du management, école privée fondée par le créateur de Panasonic. M. Gemba, admirateur de Winston Churchill, a plaidé pour l'approfondissement de l'alliance nippo-américaine et souligné la place centrale des Nations Unies tout en revendiquant un rôle indépendant du Japon sur les grandes questions internationales. Il accorde de l'importance à l'aide internationale au développement et aux campagnes conduites par les organismes non gouvernementaux.

GOSHI HOSONO, MINISTRE DE L'ENVRIONNMENT, CHARGE DE L'ACCIDENT DE FUKUSHIMA ET DES QUESTIONS NUCLÉAIRES > Goshi Hosono, 40 ans, est devenu ces six derniers mois un rouage essentiel dans le règlement de l'accident nucléaire de Fukushima, jouant les coordinateurs entre les différentes parties prenantes et orientant les décisions. Jugé bel homme et bon tribun, M. Hosono va continuer de superviser la stabilisation de la situation à centrale ainsi que l'indemnisation des victimes. Il va aussi gérer le transfert de l'Agence de sûreté nucléaire sous le ministère de l'Environnement, pour mettre fin aux liens qu'elle entretient avec le ministère de l'Économie, promoteur des entreprises du secteur nucléaire.

JUN AZUMI, MINISTRE DES FINANCES > Ce député de 49 ans fait sa première apparition au gouvernement, au poste stratégique de ministre des Finances, succédant à M. Noda, chantre de la rigueur. Père de deux enfants, M. Azumi, diplômé de la prestigieuse université de Waseda, a été journaliste politique sur la chaîne de télévision publique NHK avant d'obtenir son premier siège à la Chambre basse en 1996. Devenu grand argentier du Japon, cet homme relativement peu connu des milieux financiers et économiques devrait conduire une politique rigoureuse inspirée de celle du premier ministre, déterminé à mener à bien une vaste réforme fiscale pour contenir la dette du Japon.

YOSHIO HACHIRO, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE > Élu pour la première fois député en 1990, Yoshio Hachiro est un agronome de formation, fils de fermier de l'île rurale de Hokkaido (nord). Défenseur des paysans, il se dit aussi avocat des petits entrepreneurs et des travailleurs précaires ainsi que des régions défavorisées en proie à un inquiétant vieillissement démographique. À la tête du puissant Meti, il devra s'attaquer aux questions cruciales comme la politique énergétique du Japon, l'extension de ses accords commerciaux (qui effrayent les agriculteurs) et les mesures de soutien aux entreprises nippones qui menacent de quitter le pays à cause de la cherté insupportable de la monnaie japonaise.

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Les défis immédiats du gouvernement de Yoshihiko Noda

RECONSTRUCTION > Rétablir la confiance des citoyens en s'attaquant d'emblée à la reconstruction de la région du Tohoku (nord-est) dévastée par le violent séisme et le tsunami géant du 11 mars. L'adoption d'une troisième rallonge budgétaire est cruciale pour financer la remise en état des infrastructures et le relogement des sinistrés qui patientent depuis près de six mois dans des centres d'accueil ou des préfabriqués.

FUKUSHIMA, POLITIQUE ENERGETIQUE > La stabilisation de la situation de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima d'ici au mois de janvier, le traitement des vastes aires contaminées, la sécurité de la population riveraine et son suivi sanitaire sont essentielle pour rassurer à l'intérieur et garantir la crédibilité du Japon à l'extérieur. Au-delà, le gouvernement doit dessiner concrètement une politique énergétique en affichant une position claire vis-à-vis de l'utilisation de l'énergie nucléaire. Il ne s'oppose pas a priori au redémarrage des réacteurs nucléaires dont la sûreté aura été vérifiée.

FLAMBEE DU YEN, DEFLATION > Renforcer les mesures prises par l'État pour contrer les effets négatifs d'une monnaie nationale actuellement à son plus haut niveau d'après-guerre vis-à-vis du dollar, malgré trois interventions directes du Japon sur le marché des changes depuis septembre 2010. Extraire le pays de la déflation en dynamisant la demande pour remettre le pays sur le chemin d'une croissance continue.

REFORME FISCALE ET DETTE > Favorable à une levée d'impôts supplémentaires pour financer la reconstruction à moyen terme «afin de ne pas reporter le fardeau sur les générations suivantes», M. Noda devra convaincre dans son camp et au-delà qu'une «vaste réforme fiscale et du système de protection sociale est incontournable», y compris une hausse de la taxe sur la consommation. L'allègement sans cesse différé de l'endettement public, égal au double du produit intérieur brut du pays, devient urgent, sous la pression des organismes internationaux et agences de notation.

Outre les réductions de dépenses, le gouvernement doit parvenir à limiter les émissions de bons du Trésor qui représentent 40% du budget initial de cette année.