Dans une salle de classe, des enfants sont assis en cercle, jouant aux cartes. Ils rient, bavardent, et parfois dansent. Mais derrière cette apparente normalité, les petits Japonais seront sans doute à jamais marqués par la catastrophe du séisme et du tsunami du 11 mars.

Les enfants possèdent une «formidable» capacité d'adaptation, constate la psychologue Susie Burke, chargée des traumatismes liés aux catastrophes naturelles à l'Australian Psychological Society. «Mais cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas profondément traumatisés et touchés par ce qui se passe» autour d'eux.

Jusqu'à 25 000 personnes pourraient avoir été tuées par le séisme et le tsunami qui ont dévasté les côtes nord-est du Japon et endommagé la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi. Des dizaines de milliers de personnes se retrouvent sans abri.

Pour les enfants, le monstre, c'est désormais Mère nature: le sol sur lequel ils jouent peut trembler et se fissurer, l'océan dans lequel ils nagent peut se transformer en vague géante et destructrice, l'air qu'ils respirent peut être contaminé par des particules radioactives dangereuses.

Où que leur regard se porte, les petits Japonais sont confrontés aux conséquences de la catastrophe: ils sont assis sur des matelas dans une salle de classe froide qu'ils appellent désormais «maison». Une vieille femme pleure non loin de l'école, se demandant si sa mère a été tuée par le tsunami. Un professeur tripote un détecteur de radioactivité pour s'assurer que la situation ne s'aggrave pas.

Fumie Unoura, dix ans, garde un souvenir vivace de la journée du 11 mars. Elle était en classe lorsque la terre a commencé à trembler. Avec ses camarades, ils s'étaient réfugiés sous leurs tables. Lorsque le tremblement avait cessé, ils étaient sortis pour constater que leur ville n'était plus que décombres.

«J'ai vu la poussière s'élever», raconte-t-elle devant un abri de la ville côtière de Rikuzentakata. Lorsque le tsunami est arrivé, elle a couru aussi vite que possible. Elle a sauvé sa vie, rien de plus. Sa maison a été détruite. Elle dort sur le sol d'un gymnase avec sa famille et plus d'un millier d'autres survivants. Sa console de jeux électronique lui manque. Son père, Masanari Unoura, est bénévole dans le refuge. L'avenir le préoccupe constamment. «Nous, les parents, devons penser à énormément de choses, alors que les gamins sont dans l'ensemble libres», affirme-t-il.

Mais pour les experts, les choses ne sont pas aussi simples. Ainsi, s'ils se prolongent, les bouleversements de la vie quotidienne peuvent causer encore plus de dégâts que la catastrophe elle-même, affirme la psychologue Gaithri Fernando, auteure d'une étude sur les conséquences du tsunami de 2004 dans l'océan Indien sur les enfants sri-lankais.

Selon cette enseignante de l'Université d'État de Californie, il peut être très perturbant pour ces enfants de découvrir brutalement qu'ils ne disposent plus d'eau pour se laver, de lit pour dormir et d'école où retrouver leurs amis. Pour les experts, ramener une certaine routine, même inhabituelle, peut être efficace.

C'est ce que font Masanari Unoura et sa famille. Chaque matin, ils se joignent à d'autres pour des exercices de gymnastique diffusés à la radio. Ils prennent le petit déjeuner en famille, puis Fumie et sa soeur aînée Shiho jouent jusqu'au déjeuner. Régulièrement, le professeur de Fumie s'arrête pour lui remettre des devoirs, ce qui fait râler la fillette, note son père dans un sourire.

En structurant ainsi la journée, il est possible d'éviter des dommages psychologiques à long terme, considère Susie Burke. «Cela leur donne le sentiment que leur monde est prévisible, et lorsque nous sentons que les choses sont prévisibles, nous commençons à nous détendre, explique la psychologue australienne. Une catastrophe nous fait comprendre ou penser que le monde est imprévisible.»

L'organisation internationale Save the Children a créé des espaces sécurisés dans la zone du tsunami où les enfants peuvent se retrouver et jouer. «Au départ, ils évoquaient avec moi des histoires de séisme, puis de tsunami, et maintenant de leurs craintes des radiations», rapporte un porte-parole du mouvement, Ian Woolverton. Mais «être seul, c'est ce dont ils ont le plus peur».

Dans un refuge de Kesennuma, un groupe de garçons jouent au basket-ball, alors que des bénévoles d'une église de Tokyo proposent des massages aux personnes âgées.

Yohei Sugawara, 16 ans, explique que le tsunami a détruit le premier étage de sa maison. Un incendie a fini le travail. Ces derniers temps, il s'est créé une nouvelle routine. «Je donne un coup de main au refuge tous les matins. Puis nous essayons de nettoyer le lieu où se trouvait notre maison et de chercher ce qui peut être sauvé». Mais sa situation est moins difficile, assure-t-il, que celle d'un ami dont les parents ont été tués.