Les travailleurs japonais restés jusqu'à la dernière minute pour refroidir les réacteurs nucléaires surchauffés sont vus comme des héros, prêts à se sacrifier comme le faisaient leurs compatriotes kamikazes lors de la Seconde Guerre mondiale.

En début de journée mercredi, le niveau de radiation à la centrale a grimpé jusqu'à 1000 mSv, ce qui est suffisant pour causer très rapidement la maladie des rayons (radiation sickness). Il est ensuite redescendu à 600 ou 800 mSv, ce qui reste nocif pour la santé. "Les travailleurs ne peuvent même plus faire le strict minimum", a expliqué le chef de cabinet, Yukio Edano.

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Ces 70 personnes sont exposées à des «conditions folles», a dénoncé le patron de l'Autorité de sûreté nucléaire française, quelques heures avant que les autorités japonaises intiment ce matin aux derniers travailleurs l'ordre de quitter les lieux.

Un de leurs camarades est mort et 15 autres ont été blessés à la suite des accidents, des explosions et des incendies qui se succèdent chaque jour depuis le séisme à la centrale de Fukushima.

Avant-hier, les taux de radiation ont atteint des sommets assez inquiétants pour motiver l'évacuation de 750 employés. Le départ des 70 travailleurs restant - d'abord forcés de rester sur place pour éviter des fuites beaucoup plus importantes et nocives - a finalement été décidé aujourd'hui, les émanations de radiation ayant atteint des niveaux trop élevés en début de journée.

Selon les autorités locales, quelque 190 personnes ont été exposées à des taux élevés de radiations.

«Nous avons de fortes suspicions que les doses reçues par les travailleurs sont toxiques», avait déclaré quelques heures plus tôt l'hématologue Agnès Buzyn, présidente du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Leurs conditions sont «affreuses», avait renchéri son collègue Thierry Charles, directeur de la sûreté des installations de l'Institut.

L'Autorité de sûreté nucléaire française a carrément dénoncé le fait que le gouvernement japonais ait relevé la dose maximale autorisée, parlant de «conditions folles».

Au Canada, en cas d'urgence, c'est-à-dire lorsque des vies sont en jeu, un travailleur du nucléaire peut légalement absorber une dose maximale 10 fois plus importante que le maximum annuel habituel, soit une dose de 500 mSv, qui suffit à toucher la moelle osseuse, les cellules sanguines et le système immunitaire.

«Plus on reçoit de radiations, plus les risques de cancer sont élevés, indique par ailleurs la Dre Lysanne Normandeau, physicienne à l'hôpital Notre-Dame de Montréal. Les travailleurs japonais courent probablement des risques.» Ils ont beau porter une combinaison protectrice, ils restent vulnérables, car les rayons gamma pénètrent le corps comme des rayons X.

Hier, entre deux réacteurs, le taux horaire d'exposition a atteint brièvement 400 mSv. À ce taux, il suffit d'une exposition de 15 minutes pour augmenter légèrement le risque de cancer, de 45 minutes pour faire chuter le nombre de globules blancs et de 10 heures pour risquer la mort (voir tableau).

On ignore si des travailleurs se trouvaient alors à cet endroit critique et pendant combien de temps. Plusieurs experts ont d'ailleurs reproché à la société Tokyo Electric Power Company (TELCO) de rester silencieuse sur les conditions de travail à la centrale.

À la centrale nucléaire de Tchernobyl, en ex-URSS, en 1986, la moitié des produits radioactifs avait été rejetée soudainement. Mal équipés, des dizaines d'hommes ont alors été exposés à des doses de 2000 à 20 000 mSv et en étaient morts dans les jours, les mois ou les années suivants. Le régime soviétique leur avait menti sur l'ampleur du danger et ne leur avait pas laissé le choix de se sacrifier.

On ignore si certains travailleurs japonais ont subi certaines pressions. «Il y a, chez eux, un sens de l'honneur supérieur», souligne en tout cas le professeur Jean-Marc Fontan, spécialiste du Japon à l'UQAM.

D'après lui, le sens du devoir des opérateurs de la centrale «transcende» toutefois les valeurs japonaises traditionnelles. «Ils vivent dans la région et savent que leurs proches risquent de souffrir, rappelle-t-il. Il faut aussi se souvenir du 11 septembre: tous ces pompiers sont entrés dans les tours qui sont devenues leur tombeau. Ils ne se sont pas posé de questions.»

«Peu importe la société, les événements de l'histoire les plus négatifs vont souvent créer un sentiment de cohésion, amener les gens à croire qu'ils ont un destin commun, confirme Roxane de la Sablonnière, professeure de psychologie sociale à l'Université de Montréal. C'est ce qui amène les gens à se dévouer ou à carrément se sacrifier.»

Si leur état est grave, les travailleurs japonais exposés à des taux de radiation excessifs pourront prendre certains médicaments pour augmenter leur taux de globules et renforcer leur système immunitaire. En cas d'intoxication sévère, certains produits comme le bleu de Prusse peuvent les aider à excréter une partie des raditations. On ne peut toutefois prévenir les cancers qui risquent de les guetter, sauf celui de la thyroïde.