L'enquête publique britannique chargée de faire toute la lumière sur le scandale politico-médiatique des écoutes, mais aussi de tirer les leçons en matière de déontologie journalistique et de protection de la vie privée, a été officiellement ouverte jeudi à Londres.

Présidée par Brian Leveson, l'un des juges les plus haut placés du Royaume-Uni, la commission de six membres débutera ses auditions en septembre. Elle est censée rendre ses conclusions d'ici un an, et travaillera parallèlement à l'enquête policière qui s'est déjà soldée par dix interpellations.

L'enquête s'est vue assigner une double mission par le premier ministre David Cameron. Elle doit déterminer les responsabilités dans le scandale des écoutes, mais aussi «enquêter sur la culture, les pratiques et l'éthique de la presse»  et formuler des recommandations en vue d'apporter «de meilleures garanties» en matière de «respect de la vie privée», a rappelé le juge Leveson.

Les patrons de presse craignent que le réexamen nuise au sacro-saint «droit du public à être informé». C'est lui qui garantit un journalisme d'investigation universellement reconnu. Mais c'est lui également qui a été invoqué dans le passé pour excuser nombre de dérives, particulièrement de la part des tabloïds lancés dans une chasse aux scoops permanente, à la conquête de millions de lecteurs.

«On n'échappera pas à un débat sur les limites de la notion d'intérêt public», a prévenu le juge Leveson.

Le dominical News of the World (NotW), appartenant à la branche britannique du groupe News Corp. du magnat Rupert Murdoch, est celui par qui le scandale est arrivé. Brusquement fermé début juillet, il est soupçonné avoir écouté ou lu les messageries de près de 4000 personnes depuis le début des années 2000.

Rupert Murdoch et son fils James, n°3 du groupe transcontinental, entendus la semaine dernière par une commission parlementaire, sont donc visés au premier chef.

Mais le juge Leveson a rappelé d'emblée que d'autres médias étaient soupçonnés de «pratiques discutables»: recours immodéré à des détectives privés ou à des acteurs, usurpation d'identité, caméras cachées, etc. Un rapport officiel datant de 2006, mais qui vient seulement d'être dévoilé, a recensé des abus incriminant «300 journalistes de 31 publications différentes».

Au banc des accusés figure aussi Scotland Yard, accusé au mieux d'incompétence dans son enquête et au pire de corruption, du fait des soupçons d'achat d'informations confidentielles à des policiers ripoux.

Les politiques ne sont pas épargnés, à commencer par le premier ministre auquel il est reproché d'avoir hier succombé aux «liens incestueux» avec les médias, qu'il dénonce aujourd'hui. Il a dit être disposé à témoigner en personne pour justifier ses fréquentes (26) rencontres avec M. Murdoch ou ses lieutenants, et surtout sur sa décision d'avoir embauché comme directeur de communication Andy Coulson, ex-rédacteur en chef du NotW rattrapé par le scandale.

Dans un souci de transparence et pour éviter toute accusation de conflit d'intérêts, le président et les membres de la commission -qui comprend notamment un militant des droits de l'homme, un haut responsable de la police, deux journalistes et l'ancien président du Financial Times- ont chacun révélé jeudi dans un document leurs relations passées avec le monde des médias. C'est ainsi que le juge Leveson a «avoué» sa participation à deux dîners au domicile d'Elisabeth Murdoch, fille de Rupert.

Les auditions seront publiques, de sorte que l'affaire promet d'occuper les Unes pendant les mois à venir.

Elles s'accompagneront à compter d'octobre de tables rondes qui nourriront la réflexion de la commission sur les aménagements à apporter au système de contrôle des médias, aujourd'hui autorégulé par un organisme largement inefficace, la Press Complaints Commission.