Les Écossais ont massivement participé jeudi à un référendum sur leur indépendance dont le résultat devrait a priori être serré et à tous les coups historique, qui passionne et souvent inquiète les 92% restants des Britanniques, simples spectateurs d'un possible éclatement du Royaume-Uni.

Sur les bulletins, deux cases - une pour le oui, une pour le non - accompagnaient la question : «L'Écosse doit-elle être un pays indépendant ?».

Les bureaux de vote ont fermé à 22h (17h, heure du Québec), à Glasgow, Édimbourg et dans la myriade d'îlots. En l'absence d'estimations à la clôture, les résultats sont attendus vendredi à l'aube.

«La reine suit le référendum de très près» depuis son château écossais de Balmoral, a indiqué Sky News peu avant la fermeture des bureaux, en citant un porte-parole du château.

Un sondage YouGov auprès de 1828 personnes ayant voté donnait le non vainqueur à 54% contre 46% pour le oui.

Cette ultime enquête d'opinion concorde avec les derniers sondages de mercredi qui prédisait une courte victoire du non, rattrapé en fin de campagne par le oui, mais avec une avance se situant dans la marge d'erreur de 3%. Ajoutant au suspense, le dernier carré des indécis s'inscrivait dans une fourchette de 4 à 14%.

«Les investisseurs sont convaincus que les Écossais vont rester dans l'Union», a pourtant commenté dans l'après-midi Fawad Razaqzada, analyste chez Forex.com, tandis que la livre sterling atteignait son plus haut niveau en deux ans face à l'euro à la Bourse de Londres.

Une participation record de l'ordre de 80% est attendue de la part des 4 285 323 Écossais de 16 ans et plus appelés à se prononcer.

C'est que le débat identitaire a embrasé le territoire ancré depuis 307 ans à ses voisins du sud, en vertu d'un Acte d'Union.

Il a encore fait rage jeudi, sous les mots clefs voteyes, voteno, sur les réseaux sociaux, alimentés par le tennisman écossais Andy Murray poussant au oui, et par l'auteur d'Harry Potter, J.K Rowling, qui confiait : «Ma tête dit non et mon coeur le crie». L'un et l'autre s'attirant une bordée d'injures.

Une décision pour la vie

Face à l'échauffement des esprits, l'Église presbytérienne d'Écosse a prévu pour dimanche «un service de réconciliation» en la cathédrale Saint-Gilles d'Édimbourg.

«C'est la chance de toute une vie (...) à saisir des deux mains», a dit à l'AFP Alex Salmond, le premier ministre de l'Écosse semi-autonome, qui votait dans sa circonscription rurale de Strichen.

L'ex-locataire travailliste du 10, Downing Street, Gordon Brown, avait montré une ferveur égale la veille au soir à Glasgow, mais en faveur du non. Il a dénoncé un nationalisme «étriqué», égoïste et qui divise.

L'Écosse a changé une dizaine de fois de statut en 1400 ans d'histoire mouvementée, mais cette fois l'exercice démocratique a donné lieu à une lourde opération logistique.

Les 2600 bureaux de vote se trouvaient en effet éparpillés sur un territoire représentant le tiers de la superficie du Royaume-Uni. Certaines urnes ont été acheminées par traversier ou en hélicoptère.

À Édimbourg, la capitale, les affiches en faveur du oui surpassaient de très loin celles en faveur du non. Un zélateur a drapé du Saltire (le drapeau écossais à croix blanche sur fond bleu) la statue du romancier du XVIIIe siècle Walter Scott.

Charlotte Farish, 34 ans, est arrivée dix minutes avant l'ouverture de son bureau de vote, en compagnie de ses deux enfants en route pour l'école.

«C'est un jour important. La décision que nous allons prendre nous engagera pour la vie», a-t-elle déclaré à l'AFP.

«La mort du statu quo»

Le scrutin signifie «la mort du statu quo», a reconnu par avance le premier ministre David Cameron, chef de file du non.

Avec ses alliés gouvernementaux libéraux-démocrates et le chef de l'opposition travailliste Ed Miliband, il a promis une autonomie accrue aux Écossais s'ils renoncent à l'indépendance, sous forme de nouvelles prérogatives fiscales.

Le cadeau fait déjà des envieux parmi les Anglais, Gallois et Nord-Irlandais majoritairement unionistes, mais qui sollicitent des prérogatives élargies.

En cas de victoire du oui, trois choix s'offriront à David Cameron, selon les analystes : avancer la date des élections législatives prévues pour mai 2015, remettre sa démission, ou poser la question de confiance au Parlement.

Le triomphe des indépendantistes ouvrirait 18 mois d'acrimonieuses négociations entre Londres et Édimbourg, d'ici à la proclamation de l'indépendance, le 24 mars 2016.

Quel que soit le verdict, Alex Salmond, 59 ans, se présentera en vainqueur récompensé au mieux par l'indépendance et au pire par une plus large autonomie.

David Cameron a pour sa part prévu de tirer les leçons du scrutin dans une allocution télévisée, vendredi matin.

L'intérêt est vif dans le monde. Le président américain Barack Obama a formulé mercredi soir sur Twitter des voeux pour le maintien d'un Royaume-Uni «fort, robuste, et uni». Le président français François Hollande a mis en garde contre les «égoïsmes», les «populismes» et les «séparatismes».

L'apparition de drapeaux catalan, corse, basque, breton, sarde dans la campagne a nourri les craintes d'une contagion nationaliste chez les dirigeants européens à Bruxelles.

«Si l'Europe a peur de ça, je n'aime pas l'Europe», a répondu le Catalan Josep María Terricabras lors d'une conférence de presse à Édimbourg où 29 mouvements séparatistes européens ont signé une déclaration commune.

Une autre page d'histoire a été écrite jeudi, quand les membres du prestigieux Royal and Ancient Golf Club de Saint-Andrews ont levé à une écrasante majorité leur veto à l'adhésion des femmes.

À Bruxelles, les dirigeants européens cachent mal leur inquiétude à la perspective d'une contagion nationaliste, de la Catalogne à l'Ukraine.