Le Nobel de la paix n'y fait rien : dans son propre pays, Malala Yousafzaï reste haïe par une frange de la population persuadée qu'elle est l'instrument d'un complot occidental contre le Pakistan.

Malala est devenue une célébrité internationale en octobre 2012 après avoir survécu par miracle à une tentative d'assassinat des rebelles talibans. Celle qui dénonçait leurs atteintes au droit à l'éducation des filles avait 14 ans lorsqu'ils lui ont tiré dans la tête à la sortie de l'école dans sa vallée de Swat (nord-ouest).

Elle est depuis célébrée à l'étranger, entre conférences internationales et rencontres avec des vedettes hollywoodiennes. Mais la musique est toute autre dans son pays conservateur où rares sont les voix, féminines de surcroît, qui dénoncent l'extrémisme.

Malala est critiquée depuis le départ par les cercles islamistes radicaux, rebelles comme partis politiques religieux conservateurs, souvent opposés à l'émancipation des femmes.

Mais ce qui désole encore plus ses partisans, c'est que la défiance à son endroit a gagné une partie de la classe moyenne, qui envoie ses enfants à l'école, mais ne supporte pas de la voir étaler ainsi les problèmes du Pakistan à la face du monde.

«Au lieu du Nobel, MalalaYousafzai aurait plutôt dû recevoir un oscar», raille ainsi sur Twitter un certain Adnan Karim Rana, faisant échos aux refrains habituels des détracteurs de la jeune femme qui estiment que l'attaque des talibans, sa blessure, son hospitalisation et son coma ont été montés de toute pièce dans le cadre d'un complot occidental contre le Pakistan.

Ces sentiments se rencontrent également dans la rue. À Peshawar, la principale ville du nord-ouest, bastion de la rébellion talibane, Inquilab Khan, un pharmacien de 45 ans, dit lui aussi ne pas comprendre pourquoi on a donné le prix Nobel à Malala.

«En la récompensant, ils veulent jeter l'opprobre sur le Pakistan et l'islam. Ils ont cherché une personnalité de la région avec un nom musulman pour l'utiliser contre nous», affirme-t-il.

Des librairies de la ville continuent d'ailleurs de boycotter son autobiographie «Je suis Malala» après avoir été menacés par les talibans. Mais des responsables locaux ont également approuvé cette mesure en jugeant l'ouvrage insultant envers l'islam, car Malala y cite l'écrivain indien Salman Rushdie, l'une des bêtes noires des islamistes.

«À la solde des Américains»

Le Nobel de Malala a pourtant été salué par de nombreux représentants de la société civile et politiciens, dont le premier ministre Nawaz Sharif qui l'a qualifiée de «fierté du Pakistan». Et par de petits rassemblements dans sa ville de Mingora et à Peshawar.

Mais le scepticisme persiste dans ce pays né en 1947 sur le mythe de la défense de l'islam face à l'extérieur, et ensanglanté lors de la dernière décennie par des attaques de talibans vus par une partie non négligeable de la population comme le fruit, sinon l'instrument, des manipulations américaines dans la région.

«Malala a fini par être vue comme la composante d'un agenda américain, et tout ce qui est américain est objet de soupçons», estime Cyril Almeida, éditorialiste au quotidien Dawn.

«Le fait qu'elle soit honorée au niveau mondial en fait pour les conspirationnistes une ennemie du Pakistan et des musulmans, la preuve que quelque chose se trame contre eux», explique-t-il.

Certains détracteurs de Malala, dont de nombreux partisans de l'opposant populiste et conservateur Imran Khan ainsi que des femmes, ont ainsi posté des photos d'écolières pakistanaises pour «prouver» que Malala ment quand elle parle de la campagne de destructions des écoles par les talibans. Sans dire qui avait bien pu attaquer ces centaines d'établissements...

D'autres mettent en parallèle sa récompense avec le sort d'enfants tués par les tirs de drones américains dans le nord-ouest. Pourquoi parle-t-on d'elle et pas d'eux? se demandent-ils.

Une partie de la population pense également que d'autres Pakistanais méritaient ce prix bien plus qu'elle, comme l'octogénaire philanthrope Abdul Sattar Edhi, dont l'ONG s'occupe de millions de pauvres à travers le pays. Alors que Malala s'est exilée sans avoir rien accompli dans son pays, selon eux.

Cette défiance fait craindre aux partisans de Malala qu'elle soit forcée à rester exilée, comme le seul autre pakistanais récompensé d'un prix Nobel, le physicien Abdus Salam, couronné en 1979.

Y aurait-il une malédiction des prix Nobel au Pakistan? Abdus Salam avait également quitté son pays, car il était ahmadi, une minorité persécutée par les extrémistes musulmans.

Malgré leur importance, ses travaux pionniers sur la physique des particules élémentaires, où il prédit notamment l'existence du futur Boson de Higgs, ont été expurgés de la mémoire officielle. Et même sa tombe, dans l'est du Pakistan, a été profanée.