Un autre prix Nobel de la paix, une autre controverse. Après avoir laissé bien des observateurs perplexes l'an dernier en décernant son prix de la paix à l'Union européenne, le comité Nobel a causé encore une commotion hier en couronnant cette fois l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, dont les membres sont actuellement en Syrie pour planifier la destruction de l'arsenal chimique de Bachar al-Assad.

Si certains ont vu dans ce choix un important geste d'encouragement à régler l'un des dossiers les plus chauds du globe, d'autres l'ont jugé « ambigu », « mal avisé » et même « ironique ».

« Je crois qu'il s'agit d'une très belle opportunité ratée », a dit à La Presse l'ex-ministre fédéral des Affaires étrangères Lloyd Axworthy, qui avait été lui-même proposé pour le prix Nobel de la paix en 1997.

M. Axworthy s'interroge sur la décision de couronner une organisation qui fait certes un travail « courageux » sur le terrain en détruisant des armes, mais qui ne fait qu'exécuter les décisions des autres.

Selon lui, le comité Nobel avait pourtant devant lui une candidature rêvée : celle de Malala Yousafzai, cette Pakistanaise de 16 ans qui a milité pour le droit à l'éducation des filles dans son pays et a miraculeusement survécu à une attaque des talibans l'an dernier.

« Attribuer le prix à Malala aurait eu un impact majeur dans le monde, particulièrement auprès des jeunes. Ça aurait braqué les projecteurs sur les crimes contre les femmes et sur le besoin d'éduquer les filles des questions qui font pratiquement partie de notre conscience morale en tant que société », a dit M. Axworthy.

Sur l'internet, des messages de sympathies ont déferlé pour la jeune Malala, qui était largement favorite pour remporter le Nobel. Le gynécologue congolais Denis Mukwege, qui a soigné des dizaines de milliers de femmes victimes de viol en contexte de guerre, faisait aussi partie des pressentis.

Frédéric Mégret, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droits de la personne et pluralisme juridique à l'Université McGill, juge « ironique » le choix de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

« Je ne mâcherai pas mes mots : nous sommes dans une situation où rien n'a été fait pour amener la paix en Syrie, et le retrait de l'arsenal chimique du régime syrien a très peu à voir avec un processus de paix. On ne sait pas où conduira ce démantèlement, mais il est bien possible que Bachar al-Assad continue de bombarder sa population avec des munitions traditionnelles », dit-il.

Les réactions officielles des gouvernements ont été plus positives. Le secrétaire d'État John Kerry s'est félicité de la décision du jury, saluant la « mission essentielle » que remplit l'OIAC en Syrie. Le président de la France, François Hollande, a affirmé que le prix « vient donner une consécration » aux actions de la communauté internationale pour détruire l'arsenal chimique syrien, et le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a aussi salué le choix.

Un leader des rebelles syriens, Louay Safi, a affirmé que le prix était « prématuré » et qu'il détournerait l'attention des massacres perpétrés en Syrie.

- Avec AFP

Photo AP

Malala Yousafzai

_______________________________

D'autres controverses:

> Union européenne, 2012

En accordant son prix Nobel à l'Union européenne l'an dernier, le comité Nobel a voulu souligner le rôle de l'institution dans la transformation d'un continent jadis secoué par les guerres en région pacifique. Les détracteurs n'ont cependant pas manqué de souligner que le prix survenait à un moment où la survie de l'euro était menacée, où l'imposition de mesures d'austérité divisait le continent et où à peine 30 % des Européens avaient une vision positive de l'Union européenne.

« L'Union européenne et le prix Nobel de la paix : Hmmm », avait titré le magazine The Economist pour afficher sa perplexité.

> Barack Obama, 2009

L'attribution du prix au président des États-Unis alors qu'il venait à peine d'entrer en poste avait été interprétée comme une critique des politiques de son prédécesseur, George W. Bush. Les observateurs avaient cependant fait valoir que M. Obama n'avait pas encore eu le temps de faire ses preuves et d'instaurer ses propres politiques.

« Pour être honnête, je n'ai pas le sentiment que je mérite d'être en compagnie de tous ces gens qui ont transformé le monde et qui ont été honorés par ce prix », avait dit Barack Obama lui-même en recevant l'honneur.

> Mahatma Gandhi jamais

Le leader du nationalisme indien et de la domination britannique et grand apôtre de la non-violence n'a jamais reçu le prix Nobel de la paix, même s'il a été en nomination à cinq reprises. En 2006, le comité Nobel avait officiellement dit regretter ce fait.

« La plus importante omission de nos 106 ans d'histoire est sans conteste le fait que Mahatma Gandhi n'ait jamais reçu le prix Nobel de la paix. Gandhi peut se passer du prix Nobel ; la question est de savoir si le prix Nobel peut se passer de Gandhi », avait dit Geir Lundestad, secrétaire du comité norvégien qui accorde le prix.

Le comité Nobel avait toutefois fait un clin d'oeil à Gandhi en n'accordant aucun prix Nobel en 1948, l'année de sa mort. Le Nobel ne peut être attribué à titre posthume, et le comité avait alors affirmé « qu'aucune personne vivante ne méritait le prix ».