Barack Obama est le quatrième président américain à recevoir le prix Nobel de la paix. Une nomination qui a créé la surprise générale, surtout pour le lauréat, qui n'a pas encore bouclé la première année de son mandat. Cette reconnaissance internationale sera-t-elle un accélérateur de réformes ou un cadeau empoisonné ?

La surprise a été générale, et le principal intéressé a été le plus étonné de tous. Barack Obama a appris hier matin, au réveil, qu'il venait de recevoir le prix Nobel de la paix, neuf mois à peine après avoir accédé à la présidence des États-Unis.

 

Parmi les noms qui avaient circulé dans les jours précédant la remise de ce prix prestigieux, il y avait celui du dissident chinois Hu Jia, ou encore celui de l'ex-otage Ingrid Betancourt. Mais Barack Obama ne figurait sur aucune liste sérieuse de candidats potentiels.

La Maison-Blanche n'avait d'ailleurs pas prévu cette éventualité, et l'entourage présidentiel n'avait eu aucune discussion à ce sujet avant l'attribution du prix, a indiqué Rahm Emanuel, directeur du cabinet de Barack Obama, hier matin.

Si vite, si tôt? C'est le genre de commentaires qui circulaient hier, dans les heures qui ont suivi cette annonce. Faisant écho aux réserves soulevées par sa nomination, le président Obama a accueilli son prix «avec humilité». Il a souligné qu'il ne le voyait pas comme une «reconnaissance de [ses] réalisations», mais plutôt comme une «affirmation du leadership des États-Unis face aux aspirations de toutes les nations».

«Pour être honnête, je n'ai pas l'impression que je mérite de me retrouver en compagnie de tant de personnalités qui ont transformé leur époque et qui ont été distinguées par ce prix», a-t-il dit avant d'énumérer les causes qui pourront mieux avancer, grâce à ce prix: désarmement nucléaire, lutte contre le réchauffement climatique, dialogue entre les peuples et les religions, sans oublier la paix au Proche-Orient.

En attribuant cette récompense à un président qui n'a encore réussi à mener à terme aucune de ses réformes, et dont le pays est empêtré dans deux guerres à l'issue pour le moins incertaine, le comité norvégien a soulevé une vague de scepticisme.

«Obama n'a aucune contribution jusqu'à maintenant. Il n'en est qu'au début. Il commence seulement à agir», s'est étonné l'ex-président polonais Lech Walesa, Prix Nobel de la paix, millésime 1993.

«Une chose est certaine: le président Obama ne recevra aucun prix de la part des Américains pour la création d'emplois», a ironisé Michael Steele, président du comité national du Parti républicain aux États-Unis.

D'autres, au contraire, se sont réjouis de cette nomination. Barack Obama a déjà «contribué à changer l'atmosphère dans le monde», a fait valoir l'ex-leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev.

Le comité du prix Nobel de la paix estime lui aussi que Barack Obama a déjà exercé une influence positive, avec ses mots et ses discours. «À titre de président, il a créé un nouveau climat dans les relations internationales», écrit-il dans son communiqué.

Celui-ci précise que c'est grâce à ses «efforts extraordinaires en faveur de la diplomatie internationale et pour la coopération entre les peuples», ainsi qu'à son engagement pour le désarmement nucléaire, que le président Obama a mérité cette distinction.

Le comité dit espérer que ce prix aidera Barack Obama à «lutter pour ses idéaux».

Le prix de l'après-Bush

Le communiqué vante les vertus de Barack Obama, mais par endroits, implicitement, il écorche son prédécesseur George W. Bush. «Grâce à l'initiative d'Obama, les États-Unis jouent maintenant un rôle plus positif face aux défis climatiques auxquels le monde fait face», y lit-on par exemple.

«Ce prix est clairement une réaction à Bush», croit l'historien Gil Troy, spécialiste des présidences américaines et professeur à l'Université McGill.

Ce qui transpire de ce prix, c'est un grand soupir de soulagement, renchérit Graham Dodd, politicologue originaire des États-Unis qui enseigne à l'Université Concordia.

«C'est comme si le monde disait: «Mon Dieu qu'on est content que Bush soit parti, c'est tellement mieux maintenant!»» résume Graham Dodd.

Quand il a entendu hier que le président Obama venait de recevoir le prix Nobel de la paix, ce dernier a cru à un poisson d'avril. Et maintenant, il craint que cette reconnaissance internationale ne revienne comme un boomerang contre son lauréat.

«Ce prix risque d'écorcher la légitimité d'Obama, ses adversaires politiques pourraient dire: «Regardez, il n'a rien fait pour mériter ça, c'est un politicien vaniteux, mais il ne réalise rien»», s'inquiète Graham Dodd.

Selon Gil Troy, le prix Nobel est un «immense cadeau» et un moment de «validation» internationale pour Obama. Il récompense sa «capacité à générer de l'espoir et à inspirer».

Il appartient maintenant au président d'utiliser ce cadeau comme un levier pour faire avancer ses réformes. «S'il n'y parvient pas d'ici six mois, ce prix pourrait se retourner contre lui», croit-il.

Le comité norvégien a voulu récompenser le changement de ton, la rhétorique et les précédents créés par le premier Afro-Américain à accéder à la présidence des États-Unis. Il voulait donner un coup de pouce à un dirigeant qui espère résoudre les conflits par le dialogue, contrairement à son prédécesseur qui «tirait avant de parler», selon Graham Dodd.

C'est, en quelque sorte, un prix pour les bonnes intentions de Barack Obama. Mais le présent pourrait se transformer en cadeau empoisonné. Et la stratégie de Barack Obama doit encore porter ses fruits.

 

Gruda, AgnèsQuatrième président nobélisé

Avant Barack Obama, quatre présidents américains ont reçu le prix Nobel de la paix. Theodore Wilson, en 1906, pour le rôle qu'il a joué dans la négociation d'un traité de paix entre la Russie et le Japon. Woodrow Wilson, en 1919, pour son engagement en faveur de la création de la Société des nations, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Et Jimmy Carter en 2002, pour son travail en faveur de l'avancement de la paix, de la démocratie et des droits de la personne. Dans ces trois cas, les présidents honorés avaient l'essentiel de leurs réalisations derrière eux.