Devant la chaise symboliquement vide du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, le comité Nobel a appelé la Chine à libérer le dissident emprisonné, vendredi à Oslo, un voeu rejeté par Pékin qui voit dans ce prix une réminiscence de la «mentalité de guerre froide».

«Liu n'a fait qu'exercer ses droits civiques. Il n'a rien fait de mal. Il doit être libéré», a déclaré le président du comité, Thorbjoern Jagland, avant de déposer symboliquement le diplôme et la médaille Nobel sur la chaise vide.

Le président américain Barack Obama et la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton lui ont fait écho en réclamant la libération immédiate du dissident.

Mais en Chine, où les chaînes étrangères d'informations étaient brouillées et les mots «chaise vide» et «Oslo» censurés sur Internet vendredi, les autorités ont fustigé une «mentalité de guerre froide».

«Ce genre de théâtre politique ne fera jamais vaciller la détermination du peuple de Chine sur la route du socialisme aux caractéristiques chinoises», a déclaré la porte-parole du ministère, Mme Jiang Yu, rejetant «les complots de certains».

Ancienne figure de proue du mouvement de Tiananmen en 1989, Liu Xiaobo purge une peine de 11 ans de prison pour «subversion du pouvoir de l'État» après avoir corédigé la «Charte 08», un texte qui réclame une démocratisation de la Chine.

«M. Liu Xiaobo mérite beaucoup plus cette récompense que moi», a estimé le président Obama, prix Nobel de la paix 2009.

La France, de son côté, a demandé la libération de tous les défenseurs des droits de l'Homme à travers le monde.

Dans l'Hôtel de ville fleuri d'Oslo où se tenait la cérémonie, le portrait géant du lauréat souriant trônait vendredi, deux ans jour pour jour après la publication de la Charte.

«Beaucoup demanderont si, malgré sa puissance actuelle, la Chine ne manifeste pas une certaine faiblesse en croyant nécessaire d'emprisonner un homme pour 11 ans pour le seul fait d'avoir exprimé ses opinions», a souligné M. Jagland.

En 109 ans d'histoire du Nobel de la paix, c'est la deuxième fois que le prix ne peut être remis au lauréat ou à un représentant. Sous l'Allemagne nazie, le pacifiste Carl von Ossietzky n'avait pu recueillir son Nobel en 1936 car il était détenu dans un camp de concentration.

À Oslo, devant des Chinois vivant en exil, la présidente sortante de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi et le couple royal norvégien venus malgré les menaces de Pékin, l'actrice norvégienne Liv Ullmann a lu les propos apaisants de Liu Xiaobo juste avant sa condamnation.

«Je n'ai ni ennemis ni haine», avait écrit l'ex-professeur de 54 ans.

«Aucun des policiers qui m'ont surveillé, arrêté et interrogé, aucun des procureurs qui m'ont inculpé et aucun des juges qui m'ont jugé ne sont mes ennemis», ajoutait-il.

En marge de la cérémonie, une cinquantaine de Chinois ont manifesté, devant autant de journalistes, dans la capitale norvégienne pour protester contre le choix du comité Nobel, a rapporté un journaliste de l'AFP.

«Criminel = lauréat du Nobel de la paix?!» ou «Le Nobel de la paix à la Chine!!!», pouvait-on lire en anglais et en chinois sur les pancartes jaunes, toutes d'aspect identique.

«Il veut transformer la Chine sur le modèle américain», a déclaré un manifestant, Ya Ming.

Selon Amnesty International, les autorités chinoises ont «fait pression» sur les Chinois d'Oslo pour qu'ils participent à des contre-manifestations.

Qualifiant l'opposant de «criminel», la Chine a tenté de limiter l'impact du Nobel en intervenant auprès d'autres pays pour qu'ils boycottent la cérémonie et en menaçant de «conséquences» les États qui apporteraient leur soutien au dissident.

Près de 20 pays, dont la Chine, la Russie, l'Afghanistan, Cuba, le Venezuela, l'Iran et l'Irak, ont décliné l'invitation «pour diverses raisons», selon l'Institut Nobel.

Environ 45 autres États ont en revanche assisté à la cérémonie, notamment les membres de l'Union européenne, les États-Unis, le Japon, l'Inde et la Corée du Sud.

Les cinq autres prix Nobel 2010 devaient être remis un peu plus tard à Stockholm pour les disciplines scientifiques (médecine, physique, chimie, économie) et pour la littérature à Mario Vargas Llosa (Pérou).



Photo: AFP

La deuxième chaise à partir de la gauche sera vide. Elle est réservée au dissident chinois Liu Xiaobo.