L'Iran et les grandes puissances poursuivent dimanche à Vienne leurs négociations pour au moins arracher un accord minimal sur le nucléaire iranien, les chances de parvenir à une solution globale et définitive d'ici lundi soir semblant désormais réduites.

Après cinq jours de négociations intensives, toutes les parties reconnaissent que des «divergences importantes» subsistent entre le groupe «5+1» (Chine, États-Unis, France, Russie, Royaume-Uni et Allemagne) et l'Iran, empêchant un accord définitif d'ici à lundi soir, la date butoir.

En l'absence de «progrès significatif», la conclusion d'un accord complet englobant toutes les dimensions techniques du dossier est désormais «physiquement impossible» dans le délai imparti, a confié samedi une source européenne proche des négociations.

Mais «aucune des parties ne peut se permettre un échec des discussions», relève l'experte en non-prolifération nucléaire Kelsey Davenport, et chacune va s'efforcer d'exclure un échec pur et simple des négociations.

«Tout le monde tente de trouver un accord sur un cadre général pour qu'ensuite on puisse travailler et affiner les détails. Il n'y a pas d'autre scénario possible à ce stade», a indiqué une source iranienne.

«Un bon accord est plus important qu'une date butoir», souligne Mme Davenport, de l'Arms Control Association.

«Divergences importantes»

Reste que dans cette crise qui empoisonne la communauté internationale depuis plus d'une décennie, le principal point de consensus est que des «divergences importantes» subsistent.

La communauté internationale exige que l'Iran réduise ses capacités nucléaires afin d'exclure tout débouché militaire. Téhéran, qui soutient que son programme nucléaire est strictement pacifique, revendique son droit à une filière nucléaire civile complète et demande la levée des sanctions économiques qui l'asphyxient.

Entre l'Iran et le «5+1», les points d'achoppement sont connus: rythme de levée des sanctions d'une part, capacités iraniennes à enrichir de l'uranium de l'autre.

Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a reconnu samedi qu'il restait «de grosses divergences (...) de graves divergences» avec l'Iran, reprenant les termes de ses homologues britannique, français et allemand, mais aussi de la Maison-Blanche.

Pour la première fois samedi soir, un responsable du département d'État a admis que Washington envisageait d'autres «options» qu'un accord complet.

La source proche de la délégation iranienne a aussi admis auprès de l'AFP que «le fossé rest(ait) encore important», affirmant qu'il fallait «une décision politique» de tous les gouvernements pour permettre de sortir de l'impasse.

«Même si les progrès sont lents, on va dans la bonne direction. Une courte prolongation pourrait s'avérer nécessaire», estime Mme Davenport.

«Lignes rouges»

Toutefois, selon la source européenne, «rien ne sera agréé tant que tout ne sera pas agréé, y compris les annexes» techniques.

Les tractations, qui se sont emballées depuis vendredi, se font principalement entre les deux acteurs clés, John Kerry et Mohammad Javad Zarif. Les deux ministres, qui affichent une bonne entente, ont déjà eu quatre longs face-à-face depuis jeudi soir, sous l'égide de la négociatrice européenne Catherine Ashton.

M. Kerry a aussi multiplié les appels téléphoniques à ses homologues des pays arabes, de la Turquie et au premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui se méfie d'un accord international avec la République islamique.

En revanche, un règlement provisoire pourrait faire le jeu de ceux qui dans les deux camps, occidental et iranien, sont opposés à une sortie de crise avec l'Iran, même si à Téhéran, les déclarations de soutien aux négociateurs nucléaires se sont multipliées pour affirmer qu'ils n'avaient pas cédé sur «les lignes rouges» fixées par le pouvoir.

Des élus américains sont favorables à un nouveau train de sanctions contre Téhéran, et à partir de janvier les opposants républicains à Barack Obama contrôleront l'ensemble du Congrès, entravant la marge de manoeuvre du président démocrate.

Un échec ou l'absence d'un accord à Vienne fragiliserait aussi le président iranien modéré Hassan Rohani, qui joue une grande partie de sa crédibilité dans le succès de cette ouverture vers les grandes puissances.

Israël garde sous le coude l'option militaire contre l'Iran

JÉRUSALEM - Israël maintient sa menace d'attaque contre l'Iran en cas de «mauvais accord» sur le nucléaire iranien, mais les experts y voient surtout un moyen d'influer sur les négociations en cours à Vienne et jugent peu probable un passage à l'acte.

Alors qu'il ne reste plus que quelques dizaines d'heures de discussions avant la date butoir de lundi, le ministre israélien du Renseignement Youval Steinitz a une nouvelle fois tenté de faire pression sur le groupe «5+1» (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne), qui veulent s'assurer du caractère strictement pacifique du programme nucléaire iranien en échange d'une levée des sanctions internationales contre Téhéran.

Ce proche du premier ministre Benyamin Nétanyahou a averti qu'en cas d'un accord qui laisserait à l'Iran la possibilité de se doter en quelques mois de la bombe atomique, nous «préserveront toutes les options et tous nos droits de faire ce que nous jugeons bon pour défendre Israël», une allusion claire à une possible action militaire pour un pays qui se considère comme la première cible potentielle d'un Iran doté de l'arme nucléaire.

Pour tenter de donner du poids à cette menace, une «fuite» aux médias israéliens révélait en mars que M. Nétanyahou et son ministre de la défense Moshé Yaalon avaient ordonné à l'armée de constituer une réserve budgétaire de 10 milliards de shekels (près de 3 milliards de dollars) pour préparer une possible offensive contre les installations nucléaires iraniennes.

En public, M. Yaalon avait même émis des critiques contre le grand allié américain. «Les États-Unis ont commencé des négociations avec les Iraniens, mais malheureusement dans ce qui est devenu un bazar persan, les Iraniens sont les meilleurs», avait-il déploré.

L'armée israélienne a mis les bouchées doubles pour la mise au point d'une nouvelle version du Hetz (la flèche en hébreu), système d'interception de missiles balistiques que l'Iran pourrait tirer en représailles à une attaque israélienne.

«Israël ne veut pas la guerre»

Mais pour Ephraim Kam, de l'Institut des études pour la sécurité nationale, il n'y a pratiquement aucune chance qu'Israël passe à l'offensive. «Les Américains ne parlent plus d'option militaire depuis un an. Si les négociations sont prolongées -ce qui a de fortes chances de se produire- Israël ne pourra se permettre de passer seul à l'action alors que les Américains continuent à discuter avec les Iraniens».

«Israël dispose des capacités de retarder de plusieurs années le programme nucléaire iranien, mais pas de le réduire à néant», poursuit-il.

Ephraim Asculai, spécialiste des questions nucléaires dans le même institut, estime qu'Israël «a tout intérêt à jouer la carte diplomatique pour que les sanctions internationales imposées à l'Iran ne soient pas levées». «En cas d'accord, Israël ne pourra attaquer un pays qui vient de s'entendre avec les États-Unis», dit-il.

Pour Emily Landau, chef d'un projet sur le contrôle des armements, les menaces israéliennes visent un autre objectif. «Israël ne veut pas la guerre. En brandissant la menace d'une intervention militaire, Israël mise sur l'effet de dissuasion. Cela a marché auprès des Européens, qui par crainte d'une guerre dans le Golfe, ont imposé un embargo sur leurs achats de brut iranien».

Mais, selon elle, un «bon accord n'est pas possible car il n'inclura pas les missiles balistiques iraniens qui pourraient être dotés de têtes nucléaires».

Sur la même longueur d'onde, Ephraim Halevy, ex-patron des services de renseignements israéliens qui, selon des experts, mène depuis des années une campagne clandestine de sabotage et d'assassinats de savants atomistes iraniens, «Israël dispose des moyens de provoquer de gros dégâts en Iran».

«Mais la véritable option militaire relève avant tout des États-Unis avec leurs troupes, leur marine et leur aviation déployées dans le Golfe. L'idéal pour Israël comme pour les États-Unis serait de gagner la partie en montrant sa force sans avoir à s'en servir», ajoute cet ancien maître-espion.

Israël est considéré comme la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient et n'a pas signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).