La négociation acharnée d'un accord historique sur le programme nucléaire iranien a pris vendredi à Vienne l'allure d'un face à face entre l'Iran et les États-Unis, Washington prévenant qu'on était encore loin d'une entente définitive.

Après avoir tous deux envisagé de quitter la capitale autrichienne, le secrétaire d'État américain, John Kerry, et le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, ont décidé, au terme d'une journée riche en rebondissements, de rester pour poursuivre leur marathon de discussions.

M. Kerry, qui avait déjà retardé vendredi après-midi son départ pour Paris, a finalement choisi de «poursuivre les consultations» avec M. Zarif, a précisé sa porte-parole, Jennifer Psaki.

Les deux hommes se sont vus durant plus de deux heures vendredi soir, pour la troisième fois en moins de 24 heures.

Mais la Maison-Blanche a mis en garde: «D'importantes divergences demeurent», a souligné le porte-parole Eric Schultz. Il a invoqué une «course contre la montre» pour sceller un accord à la «date limite» de lundi 24 novembre au soir.

De même selon l'Iranien Zarif, ces «discussions importantes» n'ont toujours pas accouché d'une «proposition notable méritant d'être apportée à Téhéran». Et le chef de la diplomatie iranienne, qui avait lui aussi prévu un aller-retour en Iran pour présenter le résultat de ces discussions à ses hauts dirigeants, a décidé de rester à Vienne.

«Tout le monde tente de trouver un accord sur un cadre général pour qu'ensuite on puisse travailler et affiner les détails. Il n'y a pas d'autre scénario possible à ce stade», a expliqué à l'AFP une source iranienne proche de la délégation dans la capitale autrichienne.

Après des mois de discussions techniques, la négociation est dans sa phase la plus cruciale, et la plus politique.

Les grandes puissances du «5+1» (Chine, États-Unis, France, Russie, Royaume-Uni et Allemagne) et l'Iran veulent conclure un accord qui mettrait fin à 12 ans de controverses et de tensions internationales. Et le dialogue entre MM. Kerry et Zarif est de plus en plus la clé de cette négociation.

À trois jours de la date-butoir, les désaccords sont aplanis sur de nombreux points.

Mais deux divergences majeures subsistent.

Les grandes puissances veulent que la République islamique réduise fortement sa capacité d'enrichissement d'uranium, afin qu'elle soit privée durablement de la possibilité d'obtenir l'arme atomique. L'Iran veut à l'inverse conserver, et plus tard amplifier cette capacité, dont le pays dit avoir besoin pour alimenter ses futures centrales nucléaires.

Selon des sources occidentales, l'Iran réclame par ailleurs une levée immédiate de toutes les sanctions qui lui ont été infligées au long d'une décennie de controverses sur son programme atomique.

«Tous les ingrédients sur la table»

Téhéran a toujours nié que ce programme ait des visées militaires et dénonce comme une injustice les sanctions qui asphyxient son économie. Le «5+1» juge irréaliste de les lever immédiatement.

Seule une impulsion politique paraît à même d'éviter l'impasse, même si «tous les ingrédients pour un accord sont sur la table», comme l'a assuré depuis Moscou le ministre russe Sergueï Lavrov.

C'est dans ce contexte que Laurent Fabius et Philip Hammond, les ministres des Affaires étrangères français et britannique, ont passé la journée à Vienne pour voir MM. Kerry et Zarif, sous l'égide de la négociatrice européenne Catherine Ashton.

M. Fabius a invité l'Iran à «saisir l'opportunité» d'un accord. La République islamique aurait «énormément à y gagner, a renchéri M. Hammond : l'accès à des montants très importants d'avoirs gelés, la capacité de commercer de nouveau librement avec le monde, et de faire redémarrer les relations avec la communauté internationale.»

La chance «très rare» d'un accord

Un accord redonnerait du souffle à l'économie iranienne, en particulier grâce à la levée de l'embargo occidental sur le pétrole iranien. Il ouvrirait aussi la voie à une normalisation des relations entre l'Iran et l'Occident, rendant possible des coopérations, notamment en Irak et en Syrie.

Les difficultés restant à surmonter amènent de nombreux experts à envisager un nouvel accord intérimaire faute d'entente définitive lundi 24 novembre. Mais cette formule pourrait faire le jeu de ceux qui dans les deux camps, occidental et iranien, sont opposés à un accord.

«C'est un moment crucial, et le laisser passer serait une grave erreur, avec d'assez lourdes conséquences», a averti le négociateur russe Sergueï Riabkov.

À partir de janvier, les opposants républicains au président américain Barack Obama contrôleront l'ensemble du Congrès, alors que le président avait jusqu'à présent les mains libres pour négocier.

Le coup de tonnerre d'un échec à Vienne fragiliserait aussi le président iranien modéré Hassan Rohani. Celui-ci joue sa crédibilité dans cette ouverture vers les grandes puissances.