Trois jours d'intenses négociations entre l'Iran et six puissances mondiales se sont achevées dimanche aux premières heures à Genève sans déboucher sur un accord sur le programme nucléaire iranien, soupçonné d'avoir pour objectif caché l'accession à l'arme nucléaire.

Une nouvelle réunion est programmée le 20 novembre avec la volonté d'aboutir, ont annoncé la chef de la diplomatie de l'Union européenne Catherine Ashton et le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif.

La réunion était portée par de grands espoirs, afin de capitaliser sur la politique d'ouverture vers l'Occident et les États-Unis amorcée depuis son élection en juin par le président iranien Hassan Rohani. Ce dernier espère mettre rapidement fin à dix ans de tension sur ce dossier nucléaire, avec l'objectif d'alléger puis d'obtenir la levée des sanctions qui étouffent l'économie de son pays.

Mais les négociations ont buté les deux derniers jours sur les exigences de clarification de certains participants, en particulier la France, dans la rédaction d'un accord temporaire de six mois, première étape «vérifiable» vers un accord permanent.

Le groupe 5+1 (États-Unis, Russie Chine, France Grande-Bretagne plus l'Allemagne), l'Iran et l'UE se sont engagés à ne rien dévoiler du contenu de leurs discussions par souci d'efficacité.

Des garanties étaient notamment demandées sur certains volets du programme, dont le sort du réacteur à eau lourde d'Arak, en construction pour être fonctionnel l'été 2014. Restent également en suspens les questions liées à la fabrication de plutonium, l'enrichissement de l'uranium à 20% étape obligée pour passer ensuite rapidement à 90% pour usage militaire, le parc de 19 000 centrifugeuses et la fabrication d'une nouvelle génération de centrifugeuses cinq fois plus rapides.

En échange l'Iran pouvait espérer un allègement «limité et réversible» de certaines sanctions. En particulier celles qui ont abouti au gel des avoirs iraniens dans des banques de pays tiers mais pas aux États-Unis, les sommes en jeu représentant des dizaines de milliards de dollars, selon des experts.

Commencée jeudi au niveau des hauts fonctionnaires, la réunion a vu vendredi débarquer en urgence les ministres, le secrétaire d'État américain John Kerry interrompant une tournée au Proche-Orient, suivi de l'Allemand Guido Westerwelle, du Britannique William Hague et du Français Laurent Fabius. Le Russe Sergueï Lavrov et le Chinois, Li Baodong un vice-ministre, sont arrivés plus tard.

Le chef de la diplomatie française a été le premier à annoncer l'absence d'accord, soulignant qu'il restait beaucoup de chemin à faire. Selon Paris, des clarifications sont nécessaires sur trois points principaux: la centrale d'Arak, le devenir du stock d'uranium enrichi à 20% et plus généralement la question de l'enrichissement.

Cette détermination a fini par irriter certains diplomates qui sous couvert d'anonymat n'ont pas caché leur agacement aux journalistes.

«Les Américains, l'Union européenne et les Iraniens ont travaillé de façon intensive pendant des mois sur cette proposition et ce n'est rien de plus qu'une tentative par Fabius de se donner de l'importance tardivement», a ainsi déclaré à des journalistes un diplomate occidental.

«Nous voulons éviter l'euphorie du verre à moitié plein», a-t-on rétorqué dans la délégation française, rappelant qu'en 2003-2004 un accord sur la suspension de l'enrichissement d'uranium par les Iraniens avait volé en éclats.

«Différents points posaient problème pour différents pays, pas seulement la France», a-t-on ajouté samedi soir de source diplomatique après l'échec de l'accord .

Des progrès significatifs

De Téhéran, le président Hassan Rohani, dans un effort de dernière minute a appelé à ne pas manquer cette «occasion exceptionnelle» d'avancer, après dix ans de confrontation, sans succès. L'échec ne semble pourtant pas irrémédiable de l'avis des participants, qui ont tous salué dans la nuit de samedi à dimanche les progrès réalisés.

«Il y a eu plusieurs moments, ces dernières années, où on a été sur la brèche. Mais maintenant nous sommes plus proches d'une solution raisonnable que nous ne l'avons été depuis des années», a ainsi affirmé le ministre allemand Guido Westerwelle.

Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien, très investi dans la négociation, a affirmé ne «pas être déçu» en dépit de l'absence d'accord. «Nous travaillons ensemble et heureusement nous allons être capables de parvenir à un accord quand nous nous rencontrerons à nouveau», a-t-il dit, avec un sourire un peu forcé.

John Kerry a de son côté salué «les progrès accomplis» dans les négociations, estimant qu'on était maintenant «plus proche d'un accord».

«Les États-Unis sont déterminés à ce que l'Iran n'acquiert pas d'armes nucléaires», a aussi souligné M. Kerry après les inquiétudes exprimées au plus haut niveau par Israël.

Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a tempêté contre un «marché de dupes» et assuré qu'Israël ne se sentirait pas engagé par cet accord et assurerait seul sa défense.

Israël a plusieurs fois mis en garde les grandes puissances contre un éventuel accord avec l'Iran qui ne permettrait pas de démanteler son programme nucléaire.

Les services de David Cameron ont indiqué que le premier ministre britannique s'était entretenu une dizaine de minutes samedi soir par téléphone avec son homologue israélien Benyamin Netanyahou à propos des négociations de Genève.

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Les grandes étapes de la crise sur le nucléaire iranien

> 2003

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) révèle en août des traces d'uranium enrichi à Natanz (centre de l'Iran) où des photos satellites diffusées fin 2002 par les médias américains ont révélé l'existence d'un site nucléaire.

Après une visite inédite des chefs de la diplomatie français, allemand et britannique en octobre, l'Iran suspend ses activités d'enrichissement d'uranium. Il s'y réengage en novembre 2004 après des volte-face, mais assure qu'il ne «renoncera jamais» à l'enrichissement.

> 2005

Le 8 août, après l'élection du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad, l'Iran reprend ses activités d'enrichissement à Ispahan (centre). Paris, Berlin et Londres rompent les négociations. L'AIEA condamne l'Iran en septembre.

> 2006

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (États-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne) donnent fin janvier leur feu vert à l'AIEA pour saisir l'ONU.

Le 11 avril, l'Iran annonce avoir procédé pour la première fois à l'enrichissement d'uranium (à 3,5%).

Le 6 juin, les membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne («5+1») demandent à Téhéran d'arrêter l'enrichissement en échange d'incitations (aide pour construire des réacteurs à eau légère, avantages commerciaux). L'Iran refuse le 22 août.

Le 23 décembre, l'ONU lui inflige des sanctions, régulièrement renforcées depuis comme celles des États-Unis et de l'Union européenne (UE).

> 2007

L'Iran annonce le 7 novembre avoir franchi le cap de 3.000 centrifugeuses, étape symbolique qui permet théoriquement d'obtenir suffisamment d'uranium hautement enrichi pour une bombe atomique en moins d'un an. Il en a aujourd'hui 19.000.

En décembre, le renseignement américain estime que l'Iran a arrêté ses plans d'arme nucléaire en 2003, mais avoue ne pas connaître ses intentions actuelles.

> 2008

Le 14 juin, les 5+1 avancent une offre renouvelée, mais Mahmoud Ahmadinejad assure que l'Iran «ne reculera pas d'un iota».

> 2009

Alors que le nouveau président américain Barack Obama tend la main à l'Iran, les 5+1 proposent le 8 avril de reprendre les discussions. Le lendemain, l'Iran inaugure à Ispahan sa première usine de combustible nucléaire. Les Occidentaux révèlent le 25 septembre l'existence d'un site secret d'enrichissement à Fordo (centre).

Le 1er octobre, la reprise à Genève des négociations 5+1 débouche sur un accord de principe pour enrichir à l'étranger (à 20%) l'uranium iranien destiné au réacteur de recherches de Téhéran, mais il n'aboutit pas.

> 2010

Le 9 février, l'Iran annonce commencer à enrichir de l'uranium à 20% à Natanz. Le 17 mai, il propose avec le Brésil et la Turquie une offre pour enrichir son uranium à l'étranger, rejetée par les Occidentaux.

> 2011

Les négociations Iran/5+1 achoppent de nouveau le 22 janvier à Istanbul. La seule centrale nucléaire iranienne, à Bouchehr, est raccordée au réseau le 4 septembre. Le 8 novembre, l'AIEA évoque une «possible dimension militaire» du programme iranien.

> 2012

L'AIEA annonce le 9 janvier que l'Iran a commencé à enrichir de l'uranium à 20% à Fordo.

Après quinze mois d'arrêt, les négociations Iran/5+1 reprennent le 14 avril à Istanbul, puis à Bagdad (24 mai) et Moscou (19 juin), sans connaître d'avancées. Le 16 novembre, l'AIEA avertit que l'Iran a terminé d'équiper Fordo et augmenté nettement sa capacité d'enrichissement.

> 2013

Les 5+1 avancent le 26 février à Almaty (Kazakhstan) une nouvelle proposition demandant une simple suspension de l'enrichissement. Les négociations échouent les 6-7 avril.

Barack Obama avertit le 14 mars que l'Iran risque de se doter de l'arme nucléaire d'ici «un peu plus d'un an».

Le nouveau président iranien, Hassan Rohani, s'affirme le 6 août prêt à des «négociations sérieuses». Le 27 septembre, il parle au téléphone avec Barack Obama, premier échange à ce niveau depuis 1979.

Parallèlement une rencontre ministérielle inédite Iran/5+1 se tient à New York. L'optimisme prévaut aux négociations des 15-16 octobre à Genève.

Ces négociations se poursuivent le 7 novembre et durent trois jours sans déboucher sur un accord.

Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius explique que les négociateurs n'ont «pas pu conclure parce qu'il y a encore quelques questions qui restent à traiter».

La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, annonce une nouvelle réunion le 20 novembre à Genève.

Mohammad Javad Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères, affirme ne «pas être déçu» en dépit de cette absence d'accord.