Attaquer l'Iran pour l'empêcher de mettre au point la bombe atomique serait catastrophique et ne ferait que retarder l'inévitable de quelques années, croit Kenneth D. Taylor, ancien ambassadeur du Canada à Téhéran, à la suite des derniers développements dans le détroit d'Ormuz.

M. Taylor a l'expérience des crises qui peuvent tourner à la violence dans cette région du globe. Il a joué un rôle clé au cours de la pire période de tension entre l'Occident et l'Iran.

C'est lui qui a représenté le Canada à Téhéran lors de la célèbre «crise des otages» de 1979. Travaillant à la fois pour Ottawa et pour la CIA, il avait organisé la fuite de six otages américains, en plus de servir d'éclaireur pour une tentative ratée de sauvetage par les forces spéciales américaines.

Or, il est convaincu qu'un recours à la force serait nuisible dans le cadre de la crise actuelle.

«J'ai encore le sentiment qu'une mission de bombardements aériens serait catastrophique. Et cela ne ferait que retarder le processus [de fabrication d'une bombe] de quelques années, peut-être deux ans. Ce ne serait pas comme les raids en Syrie ou en Irak, qui ont démantelé les installations», a-t-il expliqué hier lorsque joint à New York, où il travaille maintenant comme consultant et administrateur.

Peu de chances d'atteindre l'objectif recherché, donc, mais un risque de répliques meurtrières, selon lui.

Des bombardements occidentaux entraîneraient probablement des ripostes iraniennes vers des cibles en Afghanistan, en Irak et en Israël, souligne l'ancien diplomate, qui doute que la population américaine soit prête à porter le fardeau d'une troisième guerre en 10 ans.

Il s'amuse d'ailleurs d'entendre aux États-Unis les candidats à l'investiture républicaine se lancer dans une surenchère de menaces.

«Les républicains disent: "Arrêtez la production ou nous allons bombarder." Si seulement le monde était aussi simple!», s'exclame-t-il.

Par ailleurs, la guerre aérienne menée contre le régime de Mouammar Kadhafi en Libye aurait l'air d'une partie de plaisir comparativement à une attaque sur l'Iran, aux dires de M. Taylor.

Un pays comme le Canada, qui a participé aux bombardements en Libye avec ses chasseurs CF-18, ne pourrait même pas envisager d'avoir un impact dans une éventuelle campagne iranienne, selon lui.

«Ce n'est pas la même game. On parlerait d'une montagne de matériel destructif qui devrait être lancée sur l'Iran. Les installations clés sont très bien retranchées», explique-t-il.

Accepter une bombe iranienne?

Par ailleurs, l'ancien ambassadeur n'hésite pas à bousculer le discours ambiant en suggérant qu'il est peut-être temps de penser à accepter le fait que l'Iran devienne sous peu une puissance nucléaire.

«Il y a plus de gens qu'avant qui parlent de le tolérer, à Washington», insiste-t-il.

«Même si c'était le cas, nous pourrions appliquer une politique d'endiguement avec des balises très claires à respecter: par exemple, interdiction d'exporter du matériel nucléaire et pas d'échanges avec des extrémistes. Ce sont des conditions difficiles à faire respecter, mais c'est envisageable», dit-il.

Une chose est sûre, selon M. Taylor: l'Occident et les pays arabes n'ont pas le choix de composer avec l'Iran, qui demeurera une puissance régionale.

«Peu importe ce qui arrive, l'Iran va être un facteur important dans l'évolution de la région, dit-il. Ils ont une population très éduquée de près de 80 millions d'habitants, plutôt jeune, et beaucoup de ressources naturelles. Ils ne peuvent être ignorés. Certaines personnes aimeraient les oublier, fermer les yeux pour qu'ils disparaissent, mais ce n'est pas possible.»