Le président français Nicolas Sarkozy a été contraint de reculer face au tollé suscité par un projet de super-fichier de police nourri de données privées de centaines de milliers d'individus, mais ses ses détracteurs ont continué mercredi d'exiger le retrait pur et simple.

Alors que la polémique enflait autour du fichier «Edvige», le chef de l'État, dont la cote de popularité commence à remonter à la faveur d'une intense activité diplomatique dans la crise russo-géorgienne, a repris le dossier en main.

Il appelé mercredi ses ministres au «sang froid» et à la «cohérence», selon des propos rapportés par le porte-parole du gouvernement, après que la polémique eut gagné les rangs de sa majorité.

Tout juste rentré de Géorgie, il avait organisé la veille une réunion spécialement consacrée à cette base de données informatique jugée «liberticide» par ses opposants.

Le chef de l'État a demandé à la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie d'ouvrir rapidement «une concertation avec des personnes qualifiées», qui «sera suivie de décisions pour protéger les libertés». M. Sarkozy a toutefois jugé ce fichier «nécessaire».

«Il faut désamorcer la crise», a expliqué un des conseillers du président, «il ne faut pas» que le chef de l'État «perde le crédit qu'il a accumulé cet été et qui s'est traduit par une hausse dans les sondages».

«Edvige» (pour Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale) a été créé par décret le 1er juillet et sera géré par la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP), héritière depuis l'été du service des Renseignements généraux, longtemps dénoncée en France comme une police politique.

Il s'agit de ficher des personnalités publiques --responsables, politiques, économiques--, mais aussi des mineurs de plus de 13 ans pouvant présenter une menace pour l'ordre public. Les détracteurs d'Edvige estiment qu'il pourrait conduire au stockage de données aussi sensibles que le patrimoine, la santé ou l'orientation sexuelle des personnes fichées.

À la pointe de la fronde, le président de la Ligue des droits de l'homme (LDH), Jean-Paul Dubois, s'est réjoui de cette «première victoire», tout en soulignant que le décret devait être «retiré».

Les socialistes, première force d'opposition, ont salué une «première victoire». Ils réclament un débat parlementaire débouchant sur l'adoption d'une loi sur les fichiers de renseignements. Les Verts ont jugé «nettement insuffisante» la «concertation» demandée par Nicolas Sarkozy, exigeant le «retrait immédiat» du décret.

Même réaction du collectif «Non à Edvige» réunissant notamment, outre la LDH, les syndicats CFDT et CGT, qui a maintenu sa demande d'un retrait du décret.

«Ce fichier, qui représente une véritable honte pour la France, ne peut être ni amélioré ni +amendé+, dans le fond ou dans la forme, mais doit être purement et simplement supprimé», a également déclaré le mouvement antiraciste Mrap.

L'émotion avait gagné ces derniers jours la majorité de droite au pouvoir. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, s'est notamment interrogé publiquement sur certains contenus du fichier, y voyant «un curieux mélange des genres».

Le président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer, membre du parti majoritaire UMP, a enfoncé le clou mercredi en estimant que le fichier Edvige avait été «une affaire mal conduite» par le gouvernement.

Selon le décret officiel, le fichier contient des données relatives aux personnes «ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique», ou jouant un «rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif». La police pourra y puiser des «données à caractère personnel» concernant des personnes physiques à partir de 13 ans.