En trois jours, 100 000 Sud-Africains se sont inclinés devant la dépouille de Nelson Mandela exposée à Pretoria, quelques impatients ayant même débordé la police vendredi pour pouvoir poser un dernier regard sur leur héros avant son inhumation dimanche.

À la veille du départ du grand homme vers Qunu (sud), le village de son enfance, les visiteurs ont afflué vers la capitale, formant dès l'aube des files d'attente de plusieurs kilomètres.

Malgré la cadence accélérée de la visite, il est vite devenu clair qu'une grande partie ne parviendrait pas à saluer le héros de la lutte anti-apartheid, dans son cercueil semi-ouvert.

Dans l'après-midi, des centaines d'hommes et de femmes ont soudain forcé le passage, contournant les policiers et se sont élancés en courant vers le siège de la présidence où la dépouille était exposée. Les forces de l'ordre ont renoncé à les retenir.

Cet incident est resté isolé, et la grande majorité a fait demi-tour sans protester malgré la frustration. «On croyait vraiment qu'aujourd'hui on y arriverait, mais on n'a pas vu le grand homme», se lamentait Lydia More, 31 ans, après deux jours d'attente. «On se sent vide. C'est triste.»

«Il s'était tant sacrifié pour nous que la moindre des choses est d'attendre quelques heures!», tempérait Nomazize Tenza, qui avait quitté Soweto - à 80 km de là - à cinq heures du matin.

À la tombée de la nuit, le corps a été ramené, comme prévu, à l'hôpital militaire de Pretoria. Samedi, il devait être transféré à Qunu.

Le Nobel de la Paix s'est éteint le 5 décembre à 95 ans. Après le choc des premiers jours et les cérémonies officielles en début de semaine, les hommages ont pris une tonalité plus triste depuis la présentation de la dépouille au public mercredi.

Recueillis et parfois effondrés, près de 38 000 Sud-Africains avaient déjà défilé le long de son cercueil semi-ouvert, mercredi et jeudi. Vendredi, le gouvernement annonçait que leur nombre a atteint 100 000 au total, sur trois jours.

«C'était extraordinaire d'être là. Mais mon coeur est brisé», confiait encore vendredi, en sortant de l'Union Buildings, Paulus Mefadi, un soldat de 44 ans, qui avait défilé devant Nelson Mandela lors de sa prestation de serment en 1994.

Le Dalaï lama a lui aussi fait part de sa «tristesse» lors d'une téléconférence organisée par la fondation Mandela. Mais, «cette tristesse ne sert à rien, a-t-il poursuivi. Elle doit être transformée en volonté, en détermination» pour faire vivre le message de paix porté par le géant de la réconciliation.

Malgré 27 ans dans les prisons du régime raciste, Nelson Mandela avait pardonné à ses bourreaux et multiplié les gestes en leur direction, ce qui lui a valu une admiration universelle.

«Communiquer avec les ancêtres»

Dimanche matin le pays devrait se figer au moment où se tiendront les cérémonies de son enterrement à Qunu (sud), le village de son enfance, d'abord en présence de personnalités puis dans la stricte intimité familiale.

Des chaînes de magasins ont annoncé qu'elles resteraient fermées.

La première partie de l'office se déroulera en présence d'environ 5000 personnes, dont des dignitaires étrangers comme le Prince Charles d'Angleterre ou les anciens premiers ministres français Lionel Jospin et Alain Juppé, et sera retransmise à la télévision.

Ensuite, «la famille souhaite que l'inhumation reste une affaire de famille, elle ne veut pas que ce soit télévisé, elle ne veut pas que les gens voient la mise en terre», a expliqué une porte-parole du gouvernement Phumla Williams. Seules quelques rares personnalités seront admises.

Selon la coutume, des rites xhosas, dont l'égorgement d'un boeuf, seront pratiqués et des aînés du clan Thembu, dont était issu Mandela, prendront la parole autour de la tombe.

«Des funérailles sont une cérémonie complexe qui demande notamment de communiquer avec les ancêtres et de permettre à l'esprit du défunt de reposer», a expliqué le chef Jonginyaniso Mtirara, du clan Thembu.

Depuis une semaine, des ouvriers s'affairent dans le petit village pour assurer le bon déroulement de la cérémonie dans la propriété que Nelson Mandela s'était fait construire à Qunu à sa libération en 1990.

C'est par avion que la dépouille présidentielle sera transférée samedi dans la province du Cap oriental. Si la météo le permet, l'appareil se posera sur le petit aéroport de Mthatha et une procession ira jusqu'à Qunu, lieu béni de l'enfance et des vieux jours de Mandela.

PHOTO THEMBA HADEBE, AP

La file d'attente à Union Buildings, à Pretoria.