Bien sûr il y avait Obama, Ban Ki-moon, Bono, les grands de ce monde, des stars. Mais pour des dizaines de milliers de Sud-Africains venus mardi honorer Nelson Mandela au stade de Soweto, ce meeting géant était surtout celui d'un dernier «merci», qu'ils voulaient festif, au père de leurs libertés.

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Plus de trois heures avant l'ouverture de la cérémonie, les chants déjà se répondaient, faisant tour à tour onduler, trépigner en rythme («toyi-toyi») les participants sur les gradins supérieurs, les tribunes du bas devenant une mer arc-en-ciel de parapluies, sous le crachin incessant, si inhabituel en cette saison sud-africaine.

«Nelson Mandela usilithela uxolo» (Amène-nous la paix), «Siyaya a Pitoli» (Nous allons à Pretoria - chant de lutte), «Amandla Ngawethu!» (la victoire est à nous!), «Siyabonga Mandela» (Merci Mandela): chants ou slogans, le répertoire de la lutte anti-apartheid y passait, et aussi des airs voués au grand homme «qui ne dort pas, mais est à genoux»comme l'entonnait un refrain heureux, pour signifier qu'il est toujours présent dans les esprits.

Photo AFP

Barack Obama

Cette ferveur matinale, ces chants, la présence aussi des couleurs ou tee-shirts du Congrès National Africain (ANC, au pouvoir), ou le discret encadrement des groupes arrivant au stade, rappelaient les plus grands meetings électoraux, à une échelle supérieure encore. Atmosphère adéquate pour un hommage à celui qui clama toujours sa loyauté au parti, affirmant qu'il «mourrait membre de l'ANC».

Mais au-delà des militants, au sein d'une foule multiraciale, très majoritairement noire, c'est un merci collectif, ou individuel, que jeunes et vieux Sud-Africains venaient dire et chanter.

«Bien sûr, j'ai pleuré, toute la journée après sa mort. Mais aujourd'hui est un jour de célébration, de célébration de sa vie», expliquait sans tristesse aucune Tiisetzo Nkomo, choriste de 49 ans, qui mesurait le chemin parcouru depuis qu'elle chanta pour l'investiture de Mandela en 1994.

«Et chanter est dans notre culture. Quand un enfant naît, quand une personne meurt, on chante. On pleure bien sûr aussi, mais on chante beaucoup. C'est une façon de laisser sortir, de déstresser, comme une thérapie», poursuivait-elle, à l'image d'un public sans abattement. Mais souriant, joyeux pour beaucoup. Et reconnaissant.

La gratitude des «born free»

«Je suis une ''born free'', (née libre) moi», née en 1994, l'année de l'investiture présidentielle de Mandela, lance fièrement Luyunda, 19 ans, étudiante ingénieure à Johannesburg. «Sans lui, je ne serais pas à la fac aujourd'hui. Il a changé ma vie, c'est aussi simple que cela», résume à ses côtés Zizipho, étudiante en droit, «née libre» elle aussi.

Ratshipi Maimani, 44 ans, s'est levé à deux heures du matin pour faire quatre heures de route depuis Mafikeng (nord). Une liberté de déplacement qu'il doit à Mandela. «Sous l'apartheid, venant du Bophutastwana (un des micro-Etats fantoches, non reconnus, créés par le régime d'apartheid pour regrouper les Noirs), je n'avais pas le droit de me trouver ici sans autorisation, sinon on m'aurait arrêté, interrogé».

Dans un stade aux deux tiers plein, les leaders politiques vinrent et passèrent, leur projection sur grand écran saluée d'ovations (Winnie Madikizela-Mandela, Thabo Mbeki l'ancien président) ou recevant un accueil bien plus mitigé (sifflets pour Jacob Zuma, l'actuel chef de l'Etat, ou encore George W. Bush).

Mais davantage que la pluie têtue --que beaucoup saluaient comme une «bénédiction divine», un heureux signe sur la cérémonie--, c'est la succession de discours officiels, ainsi qu'une piètre sonorisation, qui douchaient peu à peu les ardeurs des 50.000 à 60.000 participants.

Aussi au beau milieu des discours, comme celui de Nkosazana Dlamini-Zuma, la Sud-Africaine présidente de la Commission de l'Union africaine, des chants reprirent spontanément dans les gradins, la foule ne semblant se ranimer qu'aux intermèdes chantés. Ou pour Barack Obama.

La promesse arrachée par Tutu

Seul le président américain, ovationné comme personne sans doute en Afrique du Sud depuis Nelson Mandela lui-même, sut raviver la flamme de la cérémonie, par un merci vibrant et personnel à Mandela «qui (lui) donne envie d'être un meilleur homme».

Mais après lui, et avec le discours du président Jacob Zuma encore à venir, déjà des gradins se clairsemaient vers 14H30 avant la fin de la cérémonie, laissant la sensation d'une communion festive et populaire quelque peu frustrée par les officiels.

A moins que ce ne soit une lassitude plus ciblée: «Je ne l'écoute pas (Zuma). On en a assez de payer des impôts. Il faut qu'il pense davantage aux gens d'en bas», grommelait Phumzile Vilakaza, la trentaine, chômeuse, en quittant un stade où pourtant elle «était prête à rester toute la nuit s'il y avait eu de la musique et des chants».

«Il y aura des moments difficiles encore. Quand des millions de gens verront le cercueil de Mandela (exposé à Pretoria, ou lors de l'inhumation dimanche à Qunu), c'est là qu'il y aura un sens de la perte, de la séparation. Il y aura des larmes», prédisait Dudu Manala, autre choriste. «Mais en le célébrant aujourd'hui, nous bouclons une boucle. Reste à écrire un autre chapitre, l'histoire de ce que nous ferons de son héritage».

C'est exactement ce à quoi s'attela l'ancien archevêque anglican Desmond Tutu, clôturant la journée vers 16H00 en bénissant un stade aux trois quarts vidés, mais qui parvenait à arracher des sourires, une ovation. Et un retentissant «Yes», à l'ordre, par lui intimé au public: «Nous promettons à Dieu que nous allons suivre l'exemple de Nelson Mandela».