Ils formaient un gouvernement en attente, prêts à suivre Nelson Mandela, leur leader nouvellement libéré, mais il y avait un gros problème.

Aucun des jeunes membres du Congrès national africain (ANC) ne savait comment diriger un pays. En l'espace de quelques ans, au début des années 1990, cette lacune allait changer, grâce à un important effort de formation du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), une société d'État canadienne.

En 1994, quand Nelson Mandela a été assermenté comme premier président démocratiquement élu d'Afrique du Sud, 18 ministres étaient à ses côtés, dont 10 qui avaient été formés par le Canada.

«Le CRDI nous a fourni une aide incroyable en construisant l'environnement politique post-apartheid en Afrique du Sud», se rappelle Jay Naidoo, un important chef syndical sud-africain qui a servi M. Mandela dans plusieurs ministères, notamment ceux de la Reconstruction, du Développement et des Communications.

Les efforts du Canada avant les années 1990 pour faire tomber le régime de l'apartheid, menés par l'ancien premier ministre Brian Mulroney, sont bien connus: un appui politique inébranlable et des sanctions qui ont culminé par la libération de Nelson Mandela, après 27 ans de détention.

Mais le Canada a aussi joué un rôle crucial dans la phase suivante de la marche collective de l'Afrique du Sud vers la démocratie, de 1990 à 1994.

Durant cette période de quatre ans qui a mené à l'élection de Nelson Mandela à la présidence, des organisations canadiennes ont contribué à transformer une génération de combattants de la liberté de l'ANC en administrateurs publics compétents. La formation allait des politiques économiques à la migration urbaine, en passant par la santé, les droits des femmes et la lutte contre le sida.

À cette époque, affirme M. Naidoo, le Canada offrait sa compréhension et son appui aux Sud-Africains, sans tenter d'imposer son propre programme politique.

«Ma relation avec le CRDI a été infiniment renforcée dans la période difficile de transition après la libération de Mandela, quand ils ont ouvert un bureau ici», a déclaré M. Naidoo à La Presse Canadienne dans un échange de courriels.

«Quand je suis devenu ministre des Communications sous Mandela, en 1996, le CRDI était un partenaire clé dans ma stratégie visant à combler le fossé numérique. Durant cette période, le Canada était un partenaire de confiance du mouvement de libération en Afrique du Sud.»

Nelson Mandela a lui-même reconnu cette contribution canadienne particulière.

Dans une lettre envoyée pour le 25e anniversaire du CRDI, en 1995, le président a remercié l'organisation pour le «rôle critique» qu'elle a joué «en nous aidant à préparer une nouvelle phase de gouvernance et de transformation».

Lorsqu'il s'est adressé au Parlement canadien lors de la deuxième de ses trois visites au pays, en 1998 - sa première en tant que président -, Nelson Mandela a remercié le CRDI et l'Agence canadienne de développement international.

«D'importants domaines touchant la transformation en ont bénéficié, incluant la science et la technologie, les lieux d'apprentissage, notre droit du travail et nos tribunaux», avait dit M. Mandela.

Le président du CRDI à l'époque, Keith Bezanson, estime que le travail de l'organisation a été important parce que plusieurs membres du cercle rapproché de M. Mandela étaient consumés par un esprit de vengeance et de règlement de comptes.

Jusque-là, toutes les institutions du gouvernement sud-africain avaient été contrôlées par des Blancs. Avec la formation offerte par le Canada, tout cela a changé.

«Cela nous a rendus humbles», s'est rappelé M. Bezanson lors d'une entrevue accordée vendredi à La Presse Canadienne.

«Nous nous sommes placés du bon côté de l'histoire. Des choses se passaient, et si cela fonctionnait, nous allions avoir fait ce pour quoi nous avons été créés, c'est-à-dire d'apporter le développement.»

Même s'il a passé beaucoup de temps avec les proches collaborateurs de Nelson Mandela, Keith Bezanson l'a rencontré une seule fois, en 1992, lorsqu'il a été convoqué pour une rencontre de deux heures autour d'un thé.

À l'époque, M. Mandela était étroitement surveillé par ses gardes du corps par crainte d'un assassinat, se souvient M. Bezanson.

Durant leur rencontre, il a posé à M. Mandela la question que plusieurs se posent encore aujourd'hui: comment a-t-il trouvé la force de pardonner?

«Il a dit: "Si nous poursuivons sur cette voie, ce sera catastrophique. Ce sera un désastre. Il y aura du sang, du sang et encore du sang"», a raconté M. Bezanson.

Le président du CRDI a continué de questionner Nelson Mandela. Comment pouvait-il penser ainsi après avoir passé 27 ans en prison?

«Ce n'est pas que je sois chrétien ou divin», lui a répondu M. Mandela. «Je suis seulement réaliste. C'est la seule façon d'avancer. Toutes les autres voies sont vouées à l'échec. Alors ne dites pas que je suis un saint. Dites seulement que je suis réaliste.»

Photo Alain Roberge, archives La Presse

Jay Naidoo