Pacifique. C'est le bon mot pour décrire l'enfance de Nelson Rolihlahla Mandela. Lorsqu'il parlait de Qunu, le village où il a passé la majeure partie de son enfance, ses yeux brillaient, comme ceux d'un petit garçon. Toujours. Qunu était un mot magique pour Madiba, un lieu qui lui rappelait les saisons de son enfance, pieds nus, courant les champs, vêtu d'une simple couverture, bâton à la main, avec ses amis ou ses moutons, se baignant dans la rivière, aidant sa mère à préparer les repas, écoutant les histoires des «vieux» autour du feu le soir. Le petit Rolihlahla n'avait pas de souci.

«L'ex-président Nelson Mandela nous a quittés (...) il est maintenant en paix. La Nation a perdu son fils le plus illustre», a déclaré le président Zuma lors d'une intervention en direct peu après 16h30.

«Il s'est éteint en paix (...). Notre peuple perd un père», a-t-il ajouté avant d'annoncer que les drapeaux seraient mis en berne à partir de vendredi et jusqu'aux funérailles d'État dont il n'a pas annoncé la date.

«Exprimons la profonde gratitude pour une vie vécue au service des gens de ce pays et de la cause de l'humanité», a-t-il enchaîné. «C'est un moment de profond chagrin (...) Nous t'aimerons toujours Madiba».

«Comportons-nous avec la dignité et le respect que Madiba personnifiait», a ajouté M. Zuma, qui a utilisé le nom de clan du héros de la lutte contre l'apartheid, un nom utilisé familièrement par tous les Sud-Africains pour désigner leur idole.

«Une grande lumière s'est éteinte», a réagi le premier ministre britannique David Cameron.

Nelson Mandela, qui a fêté ses 95 ans le 18 juillet, avait été hospitalisé quatre fois depuis décembre, à chaque fois pour des récidives d'infections pulmonaires.

Ces problèmes récurrents étaient probablement liés aux séquelles d'une tuberculose contractée pendant son séjour sur l'île-prison de Robben Island, au large du Cap, où il a passé dix-huit de ses vingt-sept années de détention dans les geôles du régime raciste de l'apartheid.

Absent de la scène politique depuis plusieurs années déjà, «Madiba» faisait l'objet d'un véritable culte qui dépassait largement les frontières de son pays.

Tour à tour militant antiapartheid obstiné, prisonnier politique le plus célèbre du monde et premier président noir de l'Afrique du Sud, il avait été qualifié par l'archevêque Desmond Tutu, autre prix Nobel de la paix pour son engagement contre le régime sud-africain, d'«icône mondiale de la réconciliation».

Mandela restera dans l'histoire pour avoir négocié pied à pied avec le gouvernement de l'apartheid une transition pacifique vers une démocratie multiraciale.

Et pour avoir épargné à son peuple une guerre civile raciale qui, au début des années 1990, paraissant difficilement évitable. Ce qui lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1993, partagé avec le dernier président de l'apartheid, Frederik De Klerk.

Mandela a passé plus de vingt-sept ans en prison, de 1964 à 1990, devenant peu à peu devenu le symbole de l'oppression des Noirs sud-africains, tandis que le monde entier manifestait et organisait des concerts pour sa libération.

Mais avant même d'être libéré, il avait appris à comprendre ses adversaires - allant jusqu'à apprendre leur langue, l'afrikaans, et leur poésie -, à pardonner, et à travailler avec eux. Une fois libéré, il les a séduits par sa gentillesse, son élégance et son charisme.

Sous les couleurs du Congrès national africain (ANC), Mandela a été le premier président de consensus de la nouvelle «nation arc-en-ciel», de 1994 à 1999.

Un rôle notamment magnifié dans le film «Invictus» de Clint Eastwood, où on le voit conquérir le coeur des Blancs en venant soutenir l'équipe nationale de rugby lors de la Coupe du monde de 1995, emportée par l'Afrique du Sud.

Nelson Rolihlahla Mandela était né le 18 juillet 1918 dans le petit village de Mvezo, dans le Transkei (sud-est) au sein du clan royal des Thembus, de l'ethnie xhosa.

Il a rapidement déménagé dans le village voisin de Qunu, où il a passé, dira-t-il, ses «années les plus heureuses» - une enfance libre à la campagne peut-être idéalisée -, avant de recevoir une bonne éducation.

Si son institutrice l'a nommé Nelson, son père l'avait appelé Rolihlahla («celui par qui les problèmes arrivent», en xhosa). Et Mandela a très tôt manifesté un esprit rebelle.

Étudiant, il est exclu de l'université de Fort Hare (sud) après un conflit sur l'élection de représentants étudiants, avant de fuir sa famille à 22 ans pour échapper à un mariage arrangé.

Arrivé à Johannesburg, le bouillant jeune homme prend vraiment la mesure de la ségrégation raciale qui mine son pays. C'est là, notamment au contact de Walter Sisulu, son aîné qui va devenir son mentor, que se forge une conscience politique qui a évolué avec le temps: jeune, Mandela aurait volontiers chassé les Blancs du pays.

Après avoir fondé la Ligue de la jeunesse de l'ANC (Congrès national africain), il prend rapidement les rênes du parti, jugé trop mou face à un régime qui a institutionnalisé l'apartheid en 1948.

Après l'interdiction de l'ANC en 1960, Nelson Mandela passe dans la clandestinité. C'est lui qui préside à la fondation d'une branche armée de son parti.

Arrêté de nouveau en 1962, il est condamné à la prison à perpétuité deux ans plus tard.

Pendant son procès, il prononce une plaidoirie en forme de profession de foi: «J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales. J'espère vivre assez longtemps pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.»

Invisible en public depuis 2010, il était devenu une sorte de héros mythique, intouchable, invoqué tant par le pouvoir que par l'opposition. Il continuera longtemps à sourire chaque jour à tous ses compatriotes.

Futur conseiller de Sa Majesté Sabata

Même s'il habitait avec sa mère, sa vie changea radicalement lorsque son père mourut. Il avait neuf ans et fut envoyé à Mqhekezweni, au palais royal des Thembus, son clan, pour être désormais élevé par un parent éloigné, le chef Jongintaba, régent des Thembus, qui le prit sous son aile selon une entente prise avec son père. Il fit ses études secondaires dans une école méthodiste imprégnée de culture occidentale, apprit aussi les bonnes conduites du destin qu'on lui avait tracé: conseiller de Sa Majesté Sabata, le roi des Thembus. Ses professeurs portèrent un intérêt particulier à cet «enfant déterminé». Il était vif d'esprit, assoiffé de connaissances, qu'il gobait à une vitesse phénoménale. Ses amis le surnommaient Tatomkhulu, qui veut dire «grand-père» parce qu'ils disaient qu'il affichait toujours un air sérieux et paraissait plus vieux que son âge.

En 1938, Mandela commence ses études à l'Université Fort Hare, le seul établissement d'enseignement supérieur accessible aux Noirs. Après seulement un an, toutefois, il est renvoyé de l'institution pour avoir participé à une manifestation étudiante visant à protester contre la qualité de la nourriture. Il retourne chez le chef Jongintaba, mais prend ses jambes à son cou lorsqu'il apprend qu'on lui avait choisi une femme et qu'un mariage l'attend!

Nelson Mandela se retrouve donc, à 22 ans, dans la jungle urbaine de la grande et dure Johannesburg. Il travaille, d'abord comme gardien de nuit dans une mine, ensuite dans une firme d'avocats, tout en poursuivant ses études le soir. Il obtiendra un diplôme universitaire en lettres et sciences humaines et, plus tard, en droit.

Une rencontre déterminante

Puis, un jour, sa vie bascule. Celle du pays aussi. Il rencontre un humble agent d'immeuble et un fervent membre de l'ANC, Walter Sisulu. Walter lui trouve un travail chez un ami avocat blanc sympathique aux Noirs. Il y fait un stage de clerc, avant de s'ouvrir son propre cabinet d'avocats avec Oliver Tambo, qui sera président de l'ANC pendant près de trois décennies. Walter Sisulu sera le plus grand ami de Mandela, son camarade de prison et son collègue de travail, jusqu'à la mort de ce dernier en mai 2003.

Mais à l'époque, Walter tente de convaincre Mandela de joindre l'ANC. Il bascule finalement dans ses rangs en 1943, lorsqu'il se retrouve dans une foule de 10 000 personnes qui protestent contre la hausse des tarifs des autobus. Ces gens doivent marcher des kilomètres et des kilomètres, tous les jours, pour se rendre à leur travail dans la ville blanche. Si Mandela est impressionné par le pouvoir de la masse, il reste néanmoins terriblement déçu de retrouver une organisation vieille de 31 ans, sclérosée, une ANC flegmatique, presque désabusée.

Le trio Mandela-Sisulu-Tambo, impatient et déterminé, forme en 1944, avec quelques autres, la ligue des jeunes de l'ANC. Fougueux et déterminé, ce groupe de jeunes hommes transforme, en six ans seulement, le portrait politique de la lutte antiapartheid et renouvelle la face de la lutte pour la libération. Mandela, jeune, pétulant, fraîchement marié aussi avec Evelyn Mase qui lui donnera quatre enfants, se met à arpenter le pays; il recrute, convainc des gens, puis les masses, organise des marches, des manifestations, des protestations.

Lorsque le Parti national afrikaner prend le pouvoir le 26 mai 1948, la Ligue des jeunes de l'ANC riposte en créant un programme d'action appelant à la désobéissance pacifique et à la non-coopération avec le gouvernement. Ainsi, les années 1950 sont celles de la «résistance passive» où l'on défie les lois selon les principes de la protestation non violente, legs du mahatma Gandhi. C'est durant cette période que Mandela acquiert sa réputation et devient populaire, et que ses qualités de leader deviennent évidentes. Parfois emprisonné, banni ou confiné à domicile, il n'en poursuit pas moins ses activités. Il assure sa propre défense lors du célèbre Treason Trial , le long procès (1956-1960) où 156 personnes furent accusées de haute trahison envers l'État et qui aboutit finalement à l'acquittement de tous. C'est durant ce procès qu'il divorce d'Evelyn et se marie avec Winnie Mandela, avec qui il aura deux filles.

Confiné à la clandestinité

Le 21 mars 1960, 69 personnes manifestant pacifiquement se font tuer par la police à Sharpeville. Quelques semaines plus tard, le gouvernement bannit l'ANC et le PAC (Pan Africanist Congress, un groupe radical «africaniste» formé en 1959 de gens mécontents de la politique multiraciale de l'ANC). Mandela, confiné à la clandestinité pour poursuivre ses activités, est activement recherché par la police qu'il réussit continuellement à déjouer par ses déguisements et sa ruse.

Constatant que les politiques de Gandhi ont échoué et que la manifestation pacifique ne mène à rien, Mandela et son équipe fondent, le 16 décembre 1961, la branche armée de l'ANC, l'Umkhonto we Sizwe, «la lance de la nation», qu'on appelle tout simplement le MK. Mandela en devient le chef. En janvier 1962, il quitte le pays illégalement et se rend en Europe et dans plusieurs pays africains pour récolter soutiens et financement pour le MK. Il suit également un entraînement militaire. Quelques jours seulement après son retour au pays, son jeu de cache-cache avec la police prend fin. Mandela est arrêté, accusé d'avoir quitté le pays sans document valable et d'avoir incité des travailleurs à la grève.

Il se défend lui-même en cour où il arrive vêtu de son habit traditionnel xhosa pour bien illustrer le fait qu'il est «un homme noir dans une cour de justice blanche». Ses qualités d'orateur étonnent, comme lors du procès de haute trahison. Mais il est condamné à cinq ans de prison avec travaux forcés, d'abord à Pretoria, ensuite à la prison de Robben Island. Un comité «Free Mandela» est immédiatement formé, vaste cri de protestation qui résonnera pendant trois décennies.

En juillet 1963, le gouvernement arrête tout le haut commandement du MK et Mandela, étant le chef, est ramené de Robben Island pour faire face à son procès. L'accusation est sérieuse, digne de la peine de mort: sabotage et conspiration à renverser le gouvernement par des moyens violents. Mandela et ses coaccusés plaident non coupables et disent que leurs «actions» ne sont en fait que des réactions aux politiques de l'État. Il fait un habile plaidoyer qui dure quatre heures où il prononce des mots désormais célèbres, mots qu'il prononcera aussi lors de sa sortie de prison le 11 février 1990: «j'ai combattu la domination blanche. J'ai combattu la domination noire. J'ai chéri l'idée d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivent ensemble en harmonie et sur un pied d'égalité. C'est un idéal pour lequel je vis et que j'espère atteindre. Mais s'il le faut, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.»

Condamné à la prison à vie

Mandela est condamné à la prison à vie et envoyé à Robben Island où il continue d'exercer son leadership. Il participe aux grèves de la faim, même si les plus jeunes tentent de le convaincre de ménager sa santé à cause de son âge; il exige des geôliers que les prisonniers soient traités avec respect. Dans la carrière de chaux, pendant les travaux forcés, Mandela organise ce qu'on appellera «l'Université politique» de Robben Island, chaque prisonnier ayant un sujet à enseigner aux jeunes arrivants.

Mandela étudie. Il a toujours étudié. En prison, il dévore tout ce qu'il peut sur les Afrikaners, essaie de comprendre ce qui fait battre leur coeur, apprend leur langue, l'afrikaans.

Négociations secrètes et libération

À la fin des années 1980, il initie, à l'insu de l'ANC, des négociations secrètes avec le gouvernement de l'apartheid, ce qui mènera en octobre 1989 à la libération de plusieurs de ses camarades dont Walter Sisulu, déjà âgé de 77 ans, et à sa propre libération le 11 février 1990.

Les années 1990-1994 sont houleuses, intenses, période durant laquelle les difficiles négociations risquent d'échouer plusieurs fois. Il se sépare de sa femme Winnie, et finit par divorcer. Mais les grandes qualités de leadership de Mandela, ses talents de négociateur, de médiateur, son calme, sa persévérance et l'équipe avec laquelle il s'entoure parviennent à accomplir le «miracle» sud-africain lors des élections du 27 avril 1994. Mandela est investi président le 10 mai 1994 et préside la transformation politique du pays pendant cinq ans avec un poing de fer et un coeur d'or. Le 18 juillet 1998, la journée de ses 80 ans, il se marie avec Graça Machel, veuve du président mozambicain Samora Machel.

Ce petit garçon qui courait pieds nus, insouciant, sur les vertes et douces collines de Qunu, est retourné y vivre en 1999, entre ses tournées à gauche et à droite, sollicité par différents peuples, gouvernements, causes du monde qui avaient tous besoin de cette «magie Madiba».