C'est le bruit de l'hélicoptère qui a réveillé Atif Khan. Un bruit assourdissant. Il s'est levé et il a regardé par la fenêtre. Il a vu un hélicoptère immobile au-dessus de la maison de son plus proche voisin. Des hommes sortaient du ventre de l'appareil et glissaient rapidement le long d'un câble avant d'atterrir sur le toit.

Atif Khan contemplait la scène, ahuri. Abbottabad est une ville tranquille où il ne se passe jamais rien. Une ville qui abrite une prestigieuse académie militaire à moins d'un kilomètre de sa maison.

Il faisait noir; seuls les faisceaux rouges émis par les fusils des attaquants éclairaient la scène. Il était 1h20, dans la nuit de samedi à dimanche, le 1er mai. Deux autres hélicoptères se sont posés, l'un en face de la maison, l'autre dans la cour. Le bruit a réveillé toute la famille d'Atif, sa mère, son oncle, ses frères et ses soeurs.

Ce qu'Atif Khan n'arrivait pas à comprendre, c'est pourquoi tout ce grabuge se passait chez ces voisins extrêmement discrets que personne ne connaissait. Il ne les voyait jamais. Seuls deux hommes sortaient parfois faire des courses, deux frères ou deux cousins, des pachtouns. Les femmes, elles, étaient invisibles, les enfants aussi.

Soudain, Atif a entendu des coups de feu, puis les cris et les pleurs des femmes et des enfants. Des voisins ont commencé à sortir, mais ils ont été brutalement refoulés par les attaquants. «J'avais peur», dit Atif Khan.

Tout s'est passé très vite. Quarante minutes plus tard, les hommes et les hélicoptères avaient disparu. Le silence de la nuit a de nouveau enveloppé le quartier cossu d'Abbottabad.

Le lendemain, lorsqu'Atif a appris que les attaquants étaient des Américains et que son voisin si discret était Oussama ben Laden, il ne l'a pas cru. Pas ici, dans sa ville où vivent 5000 soldats et où il ne se passe jamais rien.

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Partout, à Abbottabad, c'est la même incrédulité. Ben Laden a vécu sous leur nez pendant six ans sans qu'ils le sachent.

«C'est impossible, je n'ai jamais vu de garde de sécurité dans cette maison, dit un vieux qui refuse d'être identifié. Ça fait 10 ans que je vis à côté, ça ne peut pas être ben Laden. Tout ça, c'est de la politique!»

D'autres doutent que ben Laden soit mort et exigent des preuves. «Personne n'a vu de photo ou de cadavre», dit Shakeel Abbassi, propriétaire d'une épicerie.

Khuram, tailleur qui a sa boutique à côté de celle d'Abbassi, ne se gêne pas pour dire à quel point il méprise ben Laden. «Pourquoi est-il venu ici, chez nous? Il a détruit la paix de notre ville.»

Il est furieux contre le gouvernement pakistanais qui n'a rien vu, rien compris. Les Américains sont venus ici sans autorisation et ils ont abattu ben Laden en lui logeant une balle dans la tête.

L'association des avocats aussi n'en revient pas. «Comment les Américains ont-ils osé violer notre espace aérien? demande Amjad Khan. Comment ont-ils pu bafouer les lois internationales? Ben Laden n'était pas armé. Les Américains auraient dû l'arrêter et le traîner devant un tribunal. Je n'aime pas ben Laden, mais je crois en la justice.»

Il n'est guère plus tendre envers le gouvernement pakistanais. «Une bande d'incompétents», laisse-t-il tomber avec mépris.

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C'est vrai qu'Abbottabad est une ville tranquille. Une rue principale avec des échoppes, des magasins et des restaurants. Des rues secondaires étroites, des villas et des champs à perte de vue qui meurent au pied des montagnes. Une ville verte, située à 60 kilomètres de la capitale, Islamabad, où vivent des Pakistanais nantis. On est loin du chaos et des ruelles miteuses de Karachi.

Mais l'assurance tranquille d'Abbottabad a volé en éclats quand le commando américain a abattu l'homme le plus recherché de la planète. La ville est sous le choc. Des journalistes du monde entier ont afflué pour voir la maison où ben Laden avait péri.

Vendredi, l'armée a décidé de les chasser. Les journalistes étrangers ne sont plus tolérés. L'armée a aussi délimité un immense périmètre de sécurité. Au moins un demi-kilomètre sépare les curieux de la fameuse maison. Interdiction aussi de parler aux voisins.

L'entrevue avec Atif Khan, voisin immédiat de ben Laden, s'est déroulée dehors, au détour d'une ruelle discrète. Toutes les routes qui mènent à la maison de ben Laden sont bloquées. Nous avons dû marcher à travers des champs de patates et nous faufiler entre des villas pour nous approcher à une centaine de mètres de la désormais célèbre maison.

Le gouvernement ignore ce qu'il fera de cette encombrante villa. Certains aimeraient la transformer en école ou en hôpital. D'autres souhaiteraient plutôt qu'elle soit rasée, car sa présence leur rappelle à quel point les Américains les ont humiliés.

Photo: André Pichette, La Presse

Atif Khan