Le pétrole a-t-il disparu? Ou est-il au contraire toujours là, dans le fond du Golfe et suspendu entre deux eaux? Les Louisianais ont-ils été intoxiqués par les vapeurs chimiques de la marée noire et des dispersants? Ou ont-ils un virus? Combien de dauphins morts? Pas plus que d'habitude? Et les fameuses crevettes cajuns? On les mange?

Un an après la plus grande catastrophe environnementale de l'histoire des États-Unis, vérités officielles et contre-vérités crédibles s'affrontent dans un climat empoisonné par les difficultés économiques et la multiplication des poursuites.

«Depuis le début, il y a eu de la tromperie et des demi-vérités qui équivalent à des mensonges de la part des responsables fédéraux et de BP», affirme le sénateur louisianais A.G. Crowe en entrevue avec La Presse. «Ça complique notre tâche.»

Le 20 avril 2010, une explosion à la plateforme de forage Deepwater Horizon au large de la Louisiane a fait 11 morts parmi les travailleurs et déclenchait une marée noire sans précédent.

Le puits exploratoire Macondo de la société BP a été colmaté 87 jours plus tard, le 15 juillet, après avoir déversé 4,9 millions de barils de pétrole dans le golfe du Mexique. C'est deux fois et demie la capacité des plus gros pétroliers.

En janvier, la commission d'enquête nommée par le président Obama a conclu que l'accident était évitable, sans départager les responsabilités entre BP et ses sous-traitants: «Que ce soit volontaire ou pas, plusieurs décisions prises par BP, Halliburton et Transocean ont augmenté le risque de l'explosion Macondo et ont permis à ces compagnies d'économiser temps (et argent) de façon significative.»

Mais pour M. Crowe, un républicain qui représente la région la plus touchée par la marée noire, l'explosion du puits Macondo n'est que la première de deux catastrophes. La deuxième a été l'utilisation de produits chimiques pour disperser le pétrole.

En particulier le dispersant Corexit, un solvant qui transforme le pétrole en gouttelettes microscopiques. On a déversé 7 millions de litres de Corexit dans le Golfe, dans l'espoir d'empêcher le pétrole d'atteindre les côtes.

Selon les scientifiques, un an plus tard, les écosystèmes côtiers semblent avoir échappé au pire, mais pas les fonds marins, ce qui fait craindre pour tout l'écosystème.

«Le Corexit n'avait jamais été utilisé à cette échelle, dit le sénateur Crowe. Son utilisation fait que la catastrophe va durer une génération plutôt que quelques années.»

En effet, les quelques scientifiques indépendants qui ont pu mener des recherches et en publier les résultats ces derniers mois ont retrouvé des masses d'hydrocarbures dans le fond de l'océan jusqu'à 200 kilomètres du puits Macondo. Étrange phénomène, alors que normalement, le pétrole est plus léger que l'eau et doit flotter.

Dans ces endroits où le pétrole s'est déposé, la vie marine semble impossible, sauf pour quelques rares espèces, constatent les scientifiques. Alors qu'on recense plus de 1700 espèces différentes dans cette région du Golfe.

Pourquoi le pétrole a-t-il coulé? C'est peut-être l'utilisation du Corexit, ou peut-être aussi le fait, sans précédent, que la fuite s'est produite à 1500 mètres de profondeur.

Indices

D'autres indices laissent croire qu'il reste du pétrole dans le Golfe. Plus tôt ce mois-ci, des dauphins trouvés morts en avaient sur le corps. Le nombre de dauphins retrouvés morts cette année ne s'écarte pas nécessairement de la norme, mais le fait que plusieurs étaient très jeunes est inhabituel. On a aussi trouvé des méduses normalement roses arborant des couleurs inhabituelles, comme le brun foncé ou le noir.

De toute manière, il faudra des années pour connaître l'impact réel de la catastrophe.

D'une part, on a appris après le naufrage de l'Exxon Valdez, en Alaska, que ces impacts peuvent prendre du temps. Par exemple, le stock de harengs s'est effondré trois ans plus tard et ne s'est toujours pas rétabli.

D'autre part, les recherches scientifiques les mieux financées font toutes partie d'un processus judiciaire servant à étayer une poursuite contre BP et ses partenaires. À ce titre, les scientifiques sont tenus au secret.

En attendant, la vie de bien des résidants du delta du Mississippi est loin d'être revenue à la normale.

Jointe par La Presse, Kindra Arnesen, qui habite Venice, à l'extrême sud du delta, n'est pas convaincue que les crevettes qu'elle a recommencé à pêcher avec son mari sont vraiment sans danger pour la santé.

«On ne cesse de demander aux autorités de nous garantir qu'elles sont bonnes, dit-elle. Ils nous disent que oui, mais d'un autre côté, ils viennent de ramasser encore 96 000 livres de goudron sur les plages de l'Alabama, alors c'est sûr que le pétrole est encore là», dit-elle.

Mme Arnesen et son mari ont tous deux réclamé des dommages au fonds de 20 milliards mis sur pied par BP. Leur expérience est à l'image de ce que bien des gens ont vécu. Elle n'a rien reçu. Son mari, une partie seulement de ce qu'il réclamait, faute de documentation.

Sur 20 milliards, seulement 3,6 ont été distribués et le tiers des 468 000 réclamations ont été refusées, faute de preuves. Au début du mois, l'administrateur du fonds affirmait qu'il s'attendait à remettre 14 milliards à BP.

Non seulement les dommages sont-ils difficiles à prouver, mais le pire est peut-être encore à venir.

Selon Mme Arnesen, la pêche à la crevette grise du mois d'août 2010 a rapporté une proportion inhabituelle de gros spécimens. «Où étaient les juvéniles? Je ne sais pas, mais je sais que ces crevettes se sont reproduites sur la côte, au printemps, en plein pendant la marée noire», dit-elle.

La marée noire en chiffres:

Quantité de pétrole déversée: 4,9 millions de barils, plus de deux fois la capacité des plus gros pétroliers

Quantité de dispersants utilisée: 7,6 millions de litres

Superficie maximale touchée: 176 000 kilomètres carrés, l'équivalent des États de New York et du Vermont réunis

Coût estimé des opérations de bouchage et de nettoyage: 20,9 milliards

Fonds de dédommagement établi: 20 milliards

Nombre de réclamations: 468 000

Refusées: 130 000

Argent distribué: 3,6 milliards

Sources: AFP, BP, FoxNews, The Guardian, Nature