C'est un grand marché aux poissons situé à Westwego, aux portes de la Nouvelle-Orléans. A cause de la marée noire, les poissonniers ferment boutique les uns après les autres. «On ne peut plus rien pêcher», dit Michelle qui a tiré son rideau de fer vendredi.

Le long de la route Westbank qui longe le Mississippi, une enfilade de 26 échoppes de poissonniers forment le marché du «shrimp lot». Dans ces petites boutiques en bois, on trouve normalement poisson, crabes, crevettes, sept jours sur sept. Mais depuis une dizaine de jours, six boutiques ont déjà fermé.

«Impossible de trouver le moindre crabe», explique Michelle Chauncey, une jolie blonde de 41 ans qui erre devant son échoppe jaune surmontée d'un énorme crabe bleu. «Mon fournisseur qui a habituellement 35 pêcheurs n'en fait plus travailler que six. Les autres travaillent pour BP», se désole-t-elle.

Michelle habite à Grand-Isle où la marée noire est arrivée jeudi. «Je ne sais pas ce que je vais faire. Je suis allé voir BP hier pour leur expliquer ma situation. Ils ont été gentils, mais je ne sais pas ce que ça va donner. Je devrais recevoir une indemnisation», dit cette mère de deux enfants.

«Plus personne ne veut acheter de fruits de mer. Plus personne n'a confiance», dit-elle en montrant du doigt le grand parking, presque vide, où se retrouvent, en temps normal, particuliers et restaurateurs.

Un peu plus loin, Mary-Ann Guidroz a encore quelques kilos de crevettes à vendre. «Mercredi ou jeudi, ce sera fini, je n'aurai plus rien. Vous avez un job pour moi?», demande cette poissonnière dans un éclat de rire. Mary-Ann vend ses dernières crevettes quatre dollars la livre au lieu de trois. Ce prix lui paraît si élevée qu'elle en a presque honte: «c'est vraiment ridicule».

«Dès le premier jour» et le naufrage de Deepwater Horizon, la plateforme exploitée par le géant pétrolier BP qui est à l'origine de la marée noire, «on a senti la différence. Il y a eu moins de clients. Et depuis, c'est pire chaque semaine. Les clients ont peur», dit-elle.

«C'est dramatique mais ce n'est que le début. Il faut que j'aille voir les gars de chez BP», explique, sans perdre son sourire, cette femme à poigne. A côté d'elle, deux boutiques sont fermées. En face, les poissonniers qui restent ouverts tentent de vendre des crevettes qu'ils avaient congelées.

A 150 km de là, sur la côte de l'Etat du Mississippi, à Biloxi, Sean Desporte qui tient un marché aux poissons, s'attend au pire. «Les pêcheurs de crevettes ne peuvent plus sortir. Les huîtres sont passées de 30 à 40 dollars la bourriche et nous sommes obligés d'importer du poisson d'Alabama», prévient-il.

«Si la marée noire arrive ici, elle va nous tuer», ajoute-t-il. «Beaucoup de clients nous demandent déjà si on a trouvé du pétrole dans les crevettes. Moi, j'ai perdu entre 20 et 30% de mon chiffre d'affaires».

La semaine dernière, les autorités ont triplé la superficie de la zone interdite à la pêche, qui représente dorénavant 19% de l'espace maritime américain dans le golfe du Mexique. Du coup, beaucoup de bateaux de pêche ne sortent plus en mer que pour aider BP à déployer des barrages flottants.

«Ca va être comme aux dominos. Il y a eu les pêcheurs. Maintenant ce sont les poissonniers et demain ce seront les restaurateurs», dit Michelle. «J'espère le meilleur mais je me prépare au pire», conclut-elle. L'expression, qu'on entend partout, est en passe de devenir l'hymne du delta du Mississippi.

Washington étend la zone interdite à la pêche

Les Etats-Unis ont par ailleurs décidé mardi d'ajouter 20 000 km2 à la zone interdite à la pêche dans le golfe du Mexique à cause de la marée noire qui souille les eaux poissonneuses de la région.

Cette mesure porte à 140 000 km2 la superficie totale fermée à la pêche dans le golfe du Mexique par les autorités américaines, soit un peu plus que la taille de la Grèce, a indiqué l'Agence maritime américaine NOAA.

Selon NOAA, «77% des eaux américaines» du golfe du Mexique restent néanmoins ouvertes à la pêche.