Alors que, un mois après l'explosion de la plateforme Deepwater Horizon, le pétrole continue de se répandre dans le golfe du Mexique, La Presse a demandé à Corinne Lepage, ancienne ministre française de l'Environnement, de revenir sur les événements.

Q Comment peut-on expliquer que la marée noire ne soit pas encore maîtrisée un mois après l'explosion?

R Selon ce que l'on peut comprendre, il y a plusieurs raisons. D'abord, il n'y avait rien de prévu en cas d'accident. Puisqu'il n'y avait rien de prévu, rien n'était en place et il a fallu improviser.

 

Deuxièmement, il est étonnant de constater que ce qu'a cherché BP, ce n'est pas d'arrêter la fuite pour arrêter la fuite, mais de trouver un système qui va lui permettre à la fois d'arrêter la fuite et de récupérer le pétrole. De telle sorte qu'il n'a jamais été question de remettre au goût du jour le choix qui avait été privilégié au moment de l'incident d'Ixtoc 1 (NDLR: l'explosion de cette plateforme de forage, en 1979, avait déversé 600 000 tonnes de pétrole brut dans le golfe du Mexique). À cette époque, le puits qui fuyait a été noyé sous le béton. Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, il n'en a jamais été question. Peut-être que, techniquement, ce n'est pas possible, mais je suis étonnée que ce ne soit pas envisagé. Ça avait très bien marché.

Q Voyez-vous de la mauvaise foi dans la manière dont BP gère la crise, notamment en déployant de grands vases de béton qui doivent récupérer le pétrole?

R Non, il n'est pas question de mauvaise foi, mais on voit que la priorité est de pouvoir gagner encore un peu d'argent, même si c'est au détriment de la situation en général, et ça, je trouve ça scandaleux.

Q En disant cela, n'accusez-vous pas BP de négligence?

R Ce que je dis est peut-être une accusation grave, je n'en sais rien. Mais convenez que c'est étonnant de voir qu'on cherche des solutions pour pomper le pétrole avec une espèce de puits, et ce, même si ça ne fonctionne pas. Ça m'apparaît une drôle de façon de régler le problème. Je le dis sans agressivité, mais avec un certain étonnement.

Q Comme avocate, vous avez plaidé dans deux grandes causes de marée noire. Y a-t-il des leçons que nous aurions dû apprendre du passé?

R Je crains que nous n'ayons pas beaucoup tiré de leçons du passé, mais ce n'est pas le cas des sociétés pétrolières. Si elles ont tiré une leçon, c'était de revoir comment elles allaient s'organiser pour ne pas avoir à payer au prochain accident. À la suite de l'affaire de l'Amoco Cadiz (NDLR: un pétrolier qui a sombré au large des côtes bretonnes en 1978), les pétroliers ont décidé qu'ils ne seraient plus propriétaires des bateaux, mais affréteurs. Pourquoi? Pour échapper à la jurisprudence, qui, dans le cas de l'Amoco Cadiz, a condamné la société mère (Amoco). Cela a conduit à la situation actuelle, qui a fait qu'en France, dans l'affaire de l'Erika (NDLR: pétrolier qui a sombré au nord de la France en 1999), que j'ai plaidée il y a quelques mois, la société pétrolière Total a été condamnée pour responsabilité pénale, ce qui est grave, mais n'a pas été condamnée à payer quoi que ce soit parce que la Convention internationale sur la responsabilité civile sur le fait des pollutions exclut la responsabilité des affréteurs. C'est extravagant, mais c'est comme ça.

Q Craignez-vous qu'un tel scénario se reproduise dans le cas de la marée noire du golfe du Mexique et que les victimes aient de la difficulté à se faire indemniser?

R La loi en place est différente. On ne parle pas ici de pollution de mer par bateau, mais de pollution de mer par plateforme. Dans ce cas, c'est l'Oil Pollution Act qui joue et c'est un texte qui est apparu après l'Exxon Valdez. Cette fois, le propriétaire de la plateforme est responsable, mais avec un plafond extrêmement bas, de 75 millions. Le président Obama veut changer la loi pour que le plafond soit plus haut, mais il semble avoir de la difficulté.

Pour le moment, je trouve déplorable que la société pétrolière BP et l'opérateur de la plateforme, Transocean, se renvoient la balle pour savoir qui est responsable. Ce genre de bataille peut avoir des effets terribles sur les victimes qui, dans certains cas, ont attendu jusqu'à 15 ou 20 ans pour recevoir une compensation.

Q Vous avez été ministre de l'Environnement et avez eu à légiférer dans le domaine. Selon vous, l'administration américaine utilise-t-elle tous les leviers qui sont à sa disposition pour régler cette crise?

R Vu de l'extérieur, j'ai le sentiment que le président n'est pas libre de faire ce qu'il voudrait. En général, je n'ai pas le sentiment que l'administration américaine jusqu'à présent a été d'une vigueur particulière pour le contrôle des platesformes offshore.

Q Un de vos principaux chevaux de bataille ces jours-ci est l'instauration d'une cour pénale internationale pour l'environnement. Comment fonctionnerait une telle cour?

R Les cours des différents pays ne peuvent intervenir que s'il y a de la pollution locale, des enjeux locaux. Sur la mer internationale, on aurait besoin d'une cour qui a juridiction. Dans les pays où la justice ne fonctionne pas et où les cas de pollution ne font jamais l'objet de procès, ce serait utile. Troisièmement, une cour de ce genre aurait l'avantage de permettre les poursuites quand il y a des catastrophes d'envergure planétaire. Je pense à une affaire comme Bhopal, qui, après 25 ans, n'a toujours pas été jugée.

Q Cette cour pénale aurait-elle juridiction dans le cas de la marée noire du golfe du Mexique?

R Pour le moment, les dégâts sont aux États-Unis et concernent les cours américaines, mais si ça touchait d'autres pays, une telle cour pourrait être utile.

 

Experte en marées noires

Les marées noires, l'ancienne ministre française de l'Environnement Corinne Lepage s'y connaît. Une des premières avocates de l'Hexagone à avoir choisi de pratiquer le droit de l'environnement, elle a représenté des victimes des marées noires causées par l'Amoco Cadiz en 1978. Ces jours-ci, elle plaide dans le procès entourant le naufrage de l'Erika au large des côtes bretonnes en 1999. Parallèlement, elle est députée au Parlement européen et vient de publier un essai intitulé Sans le nucléaire, on s'éclairerait à la chandelle, dans lequel, avec son mari Jean-François Bouvet, elle dénonce les scientifiques qui mettent leur talent au service d'intérêts privés. - Laura-Julie Perreault