«A côté de ça, les relevés ADN du meurtre de Kennedy, c'est de la rigolade», s'amuse Aidan Gill en exhibant un sac de cheveux coupés dans son salon de La Nouvelle-Orléans, qui iront remplir des collants utilisés comme éponge pour contenir la marée noire.

Sérieux comme un pape, Kyle Wainwright est calé dans un fauteuil du salon d'Aidan et n'a aucune idée du sort réservé à ses mèches jusqu'à ce que Nathan, son coiffeur, le lui apprenne.

«C'est génial. Je n'y aurais jamais pensé. La marée noire nous touche tous, ici, à La Nouvelle-Orléans. Mon père, par exemple, est ingénieur pétro-chimiste. Mais, non, il ne travaille pas pour BP!», lâche Kyle.

L'idée, un poil farfelue, a été lancée par l'association www.matteroftrust.org. Ses membres demandent aux coiffeurs de San Francisco, New York ou Chicago de garder tous les cheveux qu'ils coupent et de les donner à des volontaires qui ensuite les fourrent dans des bas en nylon.

«Les cheveux retiennent naturellement le gras. Le pétrole étant gras, les cheveux sont du pain béni», explique Daisye Suduran, directrice du salon de beauté d'un grand hôtel de La Nouvelle-Orléans. Pour l'occasion, elle s'est improvisée responsable de la centralisation de tous les cheveux coupés dans la ville.

Dans une salle prêtée par l'hôtel, Daisye s'affaire avec Ramiro Diaz et Andra Aitken, deux volontaires, à remplir des collants usés de boucles et de mèches. «Les salons de beauté pour animaux domestiques ont énormément contribué», s'enthousiasme Daisye en saisissant un tas de poils blonds qui pourraient être ceux d'un caniche.

«On a bien précisé qu'on voulait seulement les cheveux d'humains. C'est pour cela qu'on ne travaille pas avec les salons d'épilation», plaisante Ramiro.

Une fois les bas gonflés de cheveux, ils ressemblent à des saucisses géantes et pèsent environ 1,5 kg chacun. «L'armée viendra les chercher pour les disposer dans des casiers à homards. Puis ces cages seront coulées à 50 cm sous l'eau pour absorber le pétrole», explique Daisye.

Lorsqu'ils seront gorgés de brut, ils seront retirés et «éliminés de façon à respecter l'environnement», souligne-t-elle.

Selon les calculs effectués par www.matteroftrust.org, une livre (un peu moins de 500 grammes) de cheveux peut absorber jusqu'à quatre litres de pétrole. Chaque jour, 800 000 litres de pétrole se déversent dans le golfe du Mexique.

A ce rythme-là, les cheveux ne sont qu'une goutte dans l'océan. Peu importe. Pour Daisye Suduran, le principal est d'aider «tous ceux qui vivent des cours d'eau dans la région» du delta du Mississippi, qui fournit environ 40% de la production de fruits de mer aux Etats-Unis.

Aidan Gill, le coiffeur, dit ne pas avoir hésité une seconde lorsqu'on lui a demandé de donner les cheveux coupés dans son salon. «Aux Etats-Unis, on passe d'une catastrophe à une autre dans les médias. Alors en participant à cette action, j'espère bien retenir l'attention du grand public», explique Aidan, un Irlandais installé aux Etats-Unis depuis près de 40 ans.

Daisye Suduran assure avoir le soutien de tous les salons de coiffure de La Nouvelle-Orléans qu'elle a contactés. «J'ai même entendu dire que certains ados se coupaient leur queue de cheval pour l'occasion», observe-t-elle en disant n'avoir aucune idée du poids total récolté. «Je pense que dans les trois prochaines semaines, on devrait en être à plusieurs milliers de tonnes».