À en croire l'entourage de la candidate démocrate à l'élection présidentielle américaine, l'affaire ne fait aucun doute : WikiLeaks tente, de concert avec le Kremlin, de déstabiliser la campagne de Hillary Clinton afin de favoriser l'élection de son rival républicain, Donald Trump.

Le porte-parole de l'ex-secrétaire d'État, Brian Fallon, s'en est pris directement à l'organisation de Julian Assange la semaine dernière en tweetant qu'elle se comportait en « outil de propagande du gouvernement russe » visant à favoriser la « marionnette » de Moscou.

« Le fait de distiller des mensonges n'améliore en rien votre crédibilité », a rétorqué en ligne un responsable non identifié du compte Twitter de WikiLeaks.

Au coeur du litige figure une série de courriels publiés par WikiLeaks au cours des derniers mois. Un premier lot témoignant de comportements hostiles de la direction du Parti démocrate envers le sénateur Bernie Sanders, qui était opposé à Mme Clinton, a d'abord été dévoilé en juillet à la veille de la convention de la formation.

Des courriels tirés du compte du directeur de campagne de Mme Clinton, John Podesta, ont ensuite été mis en ligne progressivement sur une période de 10 jours précédant le troisième débat.

Dans un avis publié le 7 octobre, le département de la Sécurité intérieure des États-Unis s'est dit « raisonnablement certain » (confident) que la Russie était « directement responsable » des cyberattaques prenant pour cible le camp démocrate. Ses responsables ont ajouté que la divulgation de courriels piratés par l'entremise de WikiLeaks et d'autres sites comme DCLeaks.com était conforme aux « méthodes et motivations » de Moscou et visait à déstabiliser l'élection américaine.

Le communiqué ne disait cependant rien de la nature exacte des liens entre Moscou et WikiLeaks, contrairement à ce que pouvaient laisser entendre les interventions du camp démocrate à ce sujet.

Arun Vishwanath, spécialiste de cybersécurité rattaché à l'Université de Buffalo, note qu'il est possible, en étudiant la méthode utilisée par les hackers, de déterminer avec une assurance raisonnable la provenance des attaques ciblant le camp démocrate.

L'éventualité d'une action russe n'explique pas la nature de la collaboration entre WikiLeaks et Moscou, si collaboration il y a, relève le spécialiste, qui s'étonne malgré tout de la stratégie de diffusion des courriels suivie par l'organisation.

Il apparaît clairement, dit-il, que Julian Assange cherche actuellement à « faire de la politique » en ciblant un seul des camps dans la campagne présidentielle.

« Initialement, WikiLeaks se donnait pour mandat de surveiller les gouvernements. Là, ils surveillent le comportement d'un parti plutôt qu'un autre. »

« Sont-ils utilisés à leur insu ou agissent-ils en toute connaissance de cause ? Je ne le sais pas. Ce qui est clair, c'est qu'ils sont devenus une courroie de transmission pour les informations piratées de toute nature », ajoute M. Vishwanath.

COMME UN « AGENT » DE LA CAMPAGNE DE TRUMP

Neil Sroka, porte-parole de Democracy for America, une organisation qui soutient la candidate démocrate, estime que WikiLeaks se comporte manifestement comme un « agent » de la campagne de Donald Trump, quelle que soit la nature de ses liens avec la Russie.

La diffusion des courriels à des moments-clés vise à susciter un maximum de « chaos », juge M. Sroka, qui fait peu de cas de la teneur des courriels diffusés. « Ce ne sont pas les Pentagon Papers [sur l'implication des États-Unis dans la guerre du Vietnam] dont on parle ici », estime-t-il.

WikiLeaks fait valoir de son côté qu'elle agit de manière désintéressée et ne cherche pas à favoriser un camp ou l'autre, encore moins à favoriser les visées de Moscou. Une éditrice, Sarah Harrison, a déclaré à Bloomberg que l'organisation n'hésiterait pas un instant à diffuser des documents nuisibles à Donald Trump si elle en avait.

Julian Assange, qui a déjà animé une émission sur Russia Today, chaîne contrôlée par Moscou, ne cache pas pour autant qu'il a maille à partir avec Hillary Clinton. L'ex-secrétaire d'État, a-t-il déclaré récemment, veut le faire incriminer relativement à une importante fuite de documents diplomatiques qui avait embarrassé les États-Unis il y a quelques années.

L'activiste lui reproche par ailleurs son côté « va-t-en-guerre ». « Elle ne devrait pas pouvoir s'approcher d'un armurier, encore moins d'une armée. Et elle ne devrait certainement pas pouvoir devenir présidente des États-Unis », écrivait-il en février 2016.

Le directeur de Freedom of the Press Foundation, Trevor Timm, qui recueille notamment des dons pour WikiLeaks, relève dans une chronique parue la semaine dernière que les démocrates s'indignent des fuites les concernant en les qualifiant d'« illégales » tout en encourageant celles qui ciblent Donald Trump.

Le rôle éventuel de Moscou dans les fuites mérite d'être exploré par les médias, dit-il. Mais le fait de « concocter des théories conspirationnistes de collusion Poutine-Trump-WikiLeaks et de faire de grands bonds logiques sans preuve directe [...] dessert le journalisme », prévient-il.