Soumis au feu roulant des questions d'une commission parlementaire du Congrès américain, le patron du FBI a âprement défendu jeudi sa recommandation de ne pas poursuivre Hillary Clinton sur ses courriels envoyés grâce à un serveur privé.

L'audition d'une durée de 4 heures et 40 minutes de James Comey sur la colline du Capitole a donné lieu à des instants tendus, mais l'inflexible chef policier a conservé son calme, sans dévier de sa ligne.

«Comme je l'ai dit, j'ai conclu qu'il existait des preuves d'une grande négligence (de Mme Clinton), mais je ne trouve pas de preuves suffisantes pour établir que la secrétaire Clinton ou ceux avec qui elle correspondait échangeaient des informations classées confidentielles par courriel en sachant à l'époque qu'ils étaient en train de violer la loi», a déclaré M. Comey.

En annonçant mardi les résultats des investigations ultra-sensibles menées par ses services durant un an, le chef de la police fédérale américaine a dressé un sévère réquisitoire à l'encontre de l'ex-secrétaire d'État, lui reprochant d'avoir fait preuve d'une «négligence extrême» en installant un serveur privé au sous-sol de son domicile dans l'État de New York.

Mais James Comey n'est pas allé jusqu'à recommander l'inculpation de la candidate démocrate à la Maison-Blanche, au grand dam des républicains qui l'accusent d'incohérence. Et la ministre de la Justice Loretta Lynch a finalement annoncé mercredi clore l'enquête sans déclencher de poursuites.

Pour une bonne partie de l'opinion publique américaine, Hillary Clinton a bénéficié d'une mansuétude en raison de ses relations cultivées depuis le temps où son époux était à la Maison-Blanche.

Reste que l'histoire n'est pas terminée: le Département d'État a annoncé jeudi soir la réouverture de son enquête interne, maintenant que le ministère de la Justice a achevé son propre travail.

«Nous tenterons d'être aussi rapides que possible, mais nous n'imposerons pas d'échéance artificielle au processus», a indiqué John Kirby, porte-parole du département d'État, dans un communiqué. «Notre objectif est d'être aussi transparents que possible concernant nos conclusions, tout en respectant nos diverses obligations légales».

«2 poids, 2 mesures»

«Il existe une inquiétude légitime quant à un système de deux poids, deux mesures. Les gens se disent que s'ils ne portent pas le nom de Clinton et qu'ils ne font pas partie de la puissante élite, alors la Justice agira différemment à leur égard», a résumé jeudi l'élu républicain Jason Chaffetz.

Mais la direction de campagne de la candidate démocrate a au contraire estimé dans un communiqué que l'audition de M. Comey avait «permis de tordre le cou aux théories conspirationnistes une bonne fois pour toutes».

«Le témoignage de M. le directeur Comey a clairement réfuté un certain nombre de faux arguments des républicains et a permis d'expliquer des contradictions présumées entre ses précédentes affirmations et les déclarations publiques d'Hillary Clinton», a indiqué l'équipe de campagne.

Le rapport d'enquête du FBI a cependant mis en évidence que Mme Clinton a plusieurs fois menti depuis l'éclatement du scandale concernant ses courriels, notamment en affirmant n'avoir jamais envoyé de messages classés confidentiels avec son serveur privé.

Mme Clinton avait aussi affirmé avoir remis au département d'État tous ses courriels professionnels passés hors du circuit sécurisé qu'elle aurait dû utiliser. Or le FBI a découvert qu'elle n'avait pas restitué plusieurs milliers de courriels liés à son travail.

Mais M. Comey a balayé les soupçons d'indulgence vis-à-vis de Mme Clinton, ou de tout arrangement illégal comme le soutient le candidat républicain Donald Trump.

«Cette enquête a été conduite dans la plus grande tradition du FBI. Nos hommes l'ont menée de façon apolitique et professionnelle», a-t-il assuré.

Pas d'interférence, assure Comey

Poussé dans ses retranchements par plusieurs élus républicains, M. Comey a solennellement répété avoir agi sans aucune interférence extérieure.

«Je ne me suis pas coordonné avec qui que ce soit, à la Maison-Blanche, au ministère de la Justice, personne en dehors de la famille du FBI ne savait ce que j'allais annoncer», a-t-il assuré.

Interrogé sur le fait de savoir s'il garderait au FBI une personne ayant eu des agissements identiques à Mme Clinton, M. Comey a répondu par les mots suivants: «Il y aurait une inspection sur le plan de la sécurité et une décision sur le fait de savoir s'il est pertinent (de garder cette personne) et une série de mesures disciplinaires pourraient être prises, allant du renvoi à la simple réprimande».

Enfin, questionné sur le fait de savoir si le FBI enquêtait sur la Fondation Clinton, une organisation créée par Bill Clinton et qui a levé des centaines de millions de dollars en une décennie, M. Comey a refusé de répondre.

James Comey, arbitre de la présidentielle

Quel responsable républicain est le plus susceptible de freiner la course à la Maison-Blanche d'Hillary Clinton ? Donald Trump, direz-vous ? Et si c'était plutôt James Comey, le patron du FBI, dont l'implacable réquisitoire dans l'affaire des courriels de la candidate risque de peser lourd ?

Cet ex-procureur fédéral et ancien vice-ministre de la Justice a été soumis jeudi au feu roulant des questions du Congrès. Sans se départir de son calme permanent, il a âprement défendu sa recommandation de ne pas poursuivre l'ex-secrétaire d'État sur ses courriels envoyés grâce à un serveur privé.

Deux jours plus tôt, M. Comey avait crevé l'écran à Washington dans une conférence de presse surprise, au secret bien gardé et au contenu explosif.

En 15 minutes de discours, ce grand policier a habillé Mme Clinton pour l'hiver, en tout cas pour l'échéance électorale de l'automne.

Bien sûr, en recommandant de ne pas inculper l'ancienne diplomate-en-chef, M. Comey lui a évité le pire. Mais voilà l'ex-Première dame obligée de faire campagne avec des cailloux bien pointus dans ses chaussures.

Car les mots du chef du FBI, renforcés par la teneur officielle de son rapport d'enquête, ne s'effaceront pas de sitôt. Leur portée pourrait dépasser, estiment des experts, le 8 novembre, quand bien même Mme Clinton remporterait alors la présidentielle.

Celle qui a dirigé la diplomatie américaine de 2009 à 2013 a, selon ce rapport, fait preuve d'une « extrême négligence » ; elle « aurait dû savoir » et n'a rien fait ; sous sa responsabilité, le département d'État a affiché des « carences » de sécurité informatique ; enfin, Mme Clinton a mis en péril des « informations hautement sensibles ».

Ses adversaires se sont déjà engouffrés dans la brèche. Mais seul l'avenir dira si les parades qu'elle adoptera seront efficaces.

Le policier éclipse la ministre

En attendant, James Comey a volé la vedette à sa responsable directe, la ministre de la Justice Loretta Lynch, qui n'a fait qu'entériner mercredi soir les recommandations du FBI de ne pas inculper Mme Clinton.

Mme Lynch est en difficulté pour avoir rencontré la semaine dernière l'ex-président Bill Clinton, époux d'Hillary, un entretien dénoncé par Donald Trump comme un arrangement illégal.

Avec cette enquête brûlante, M. Comey, 55 ans, a également renforcé sa stature de franc-tireur, encaissant les attaques de tous bords pour émerger du guêpier.

De fait, les démocrates lui reprochent d'avoir tancé publiquement Hillary Clinton, alors que la tradition veut que le FBI demeure discret sur ses investigations quand il décide de ne pas poursuivre au final.

Quant aux républicains, ils l'accusent d'avoir opté de façon incohérente contre l'inculpation de l'ex-secrétaire d'État, compte tenu des graves éléments à charge.

M. Comey peut donc s'attendre à être chahuté ces prochaines semaines. Mais ce juriste républicain au look toujours impeccable, nommé en 2013 par Barack Obama pour diriger la police fédérale, a de la bouteille.

Il est notamment rompu aux auditions éreintantes sur la colline du Capitole. Et ce père de cinq enfants connaît sur le bout des doigts le dossier des courriels pour s'être tenu au courant tout au long des investigations.

Un homme de réseaux

Depuis trois décennies James Comey navigue dans les hauts cercles politico-judiciaires, endurcissant une cuirasse grâce à laquelle il se permet parfois de fâcher les autorités judiciaires, voire la Maison-Blanche.

C'est ce qu'il a fait par exemple en soutenant que les policiers étaient devenus réticents à s'impliquer dans leur tâche après l'avalanche de critiques qu'ils ont subies depuis la mort de Michael Brown, un Noir de 18 ans abattu en 2014 à Ferguson (Missouri).

Toute carrière de haut vol aux États-Unis suppose de solides relais à New York - cf Hillary Clinton et Donald Trump - et M. Comey, natif de la ville, a eu le temps de s'en bâtir comme procureur fédéral de Manhattan.

Enfin, il n'en est pas à sa première tempête : en 2004, devenu «Attorney general» par intérim, M. Comey avait vu débarquer un conseiller du président George W. Bush dans l'hôpital où était soigné le ministre de la Justice de l'époque, John Ashcroft.

Le conseiller présidentiel, Alberto Gonzales, avait tenté de profiter de la faiblesse de M. Ashcroft pour lui faire parapher une mesure controversée autorisant des écoutes téléphoniques sans mandat judiciaire.

James Comey avait ensuite relaté cet incident à des sénateurs sidérés, déclenchant une tourmente.