Ni démocrates ni républicains, les Vermontois se disent surtout indépendants et fiers de l'être. Mais Barack Obama suscite ici un enthousiasme passionné qui lui a valu, en 2008, le plus fort appui populaire du pays après celui d'Hawaii, État natal du président. Quatre ans plus tard, Barack Obama établira-t-il encore des records au pied des Green Mountains?

Jeanne Morrissey était au volant lorsque le téléphone a sonné, un mardi de mars dernier. C'était trois jours avant une visite du président Barack Obama à Burlington. Une dame du Parti démocrate voulait savoir comment son entreprise de construction s'en sortait malgré la crise. Pas trop mal, a expliqué la Vermontoise, surprise et ravie que sa petite entreprise attire l'attention en haut lieu. «Obama parlera peut-être de nous dans son discours!», s'était-elle réjouie après la conversation.

En fait, il allait faire beaucoup mieux. «Dites-moi, lui a proposé la femme, quelques heures plus tard, accepteriez-vous de présenter le président avant son discours?»

C'était il y a six mois, mais Jeanne Morrissey en parle encore avec les yeux d'une adolescente qui vient de danser son premier slow. Pourtant, cette ingénieure de formation, à la tête de la vingtaine d'employés de JAM Inc., à Williston, au Vermont, n'a rien de ces militants fiévreux qui ont le nom de leur idole politique tatoué sur le coeur. Jeanne Morrissey dirige ses ouvriers baraqués avec un franc-parler réputé dans la région. Elle se définit comme «indépendante», et non démocrate. Mais quand il s'agit de sa rencontre avec Barack Obama...

«C'était... complètement surréel...», raconte-t-elle pourtant en secouant encore la tête d'incrédulité. «Je n'aurais jamais pensé que ça puisse m'arriver. Et pourtant, j'ai beaucoup d'imagination!» Elle éclate de rire. «C'était une chance pour nous de lui dire que, grâce à son plan de sauvetage, nous n'avons pas eu à faire de mises à pied. Il a été critiqué pour ce programme, alors qu'aujourd'hui, nous recommençons à travailler avec des fonds privés et dépendons peu du public. Ce plan de sauvetage, ce pont, a permis de nourrir plusieurs familles ici, et pas seulement nos employés.»

De la banlieue de Burlington, Jeanne Morrissey a vu en quatre ans l'économie du pays s'effondrer avant de remonter péniblement la côte. Elle a craint de devoir mettre à pied des employés lorsque le nombre de chantiers est devenu famélique. Elle a reçu dans son bureau nombre d'ouvriers de la région venus lui demander du travail. «Je les ai écoutés, comme une psychologue. C'est tout ce que je pouvais faire, je n'avais rien pour eux. C'était terrible.»

En 2009, le plan de sauvetage de 787 milliards adopté par Washington a sauvé JAM Inc. du naufrage, martèle Mme Morrissey. L'entrepreneure a ainsi pu installer des panneaux solaires, bâtir des centres de santé et des logements abordables un peu partout au Vermont. Un travail d'équipe, précise l'ingénieure, parce que le succès du plan ne dépendait pas seulement du président, mais surtout des élus locaux et de la communauté. «Le changement ne vient pas de Washington. Ce qui vient de la capitale, c'est l'occasion de changer, dit-elle. Et sans ça, je ne sais pas comment on aurait fait.»

«Intelligence extraordinaire»

Obama est-il toujours aussi populaire au Vermont? Sans aucun doute. Quatre ans de pouvoir ont à peine émoussé l'enthousiasme des Vermontois pour le politicien démocrate. En 2008, 68% des électeurs de l'État ont voté pour lui. Parmi les autres États, seuls les électeurs d'Hawaii (72%), où est né et a grandi le président, ont été plus nombreux à voter pour lui.

Mais les Vermontois ne sont pas férocement démocrates pour autant. Ce n'est qu'en 1963, l'année où le nombre d'habitants a supplanté le nombre de vaches (!), que le Vermont a eu son premier gouverneur démocrate. L'alternance entre gouverneurs républicains et démocrates perdure: le gouverneur démocrate Peter Schumlin a remplacé le républicain Jim Douglas en 2010.

Au fédéral, le sénateur Bernard Sanders, ancien maire de Burlington, est l'un des deux seuls membres indépendants du Sénat. Les Vermontois ont voté pour les républicains Richard Nixon (1972), Gerald Ford (1976), Ronald Reagan (1980 et 1984) et George Bush père (1988). Depuis 1992, ils n'ont voté que pour les candidats démocrates: Bill Clinton (1992 et 1996), Al Gore (2000), John Kerry (2004) et Barack Obama (2008).

Le «fond républicain» n'est donc pas bien loin dans l'État le plus rural du pays (625 000 personnes et quelque 150 000 vaches), et le second des États-Unis pour la proportion d'habitants blancs. Et les Vermontois, bien qu'ils se disent écolos à saveur socioprogressiste, ne renient pas certaines valeurs plus conservatrices, surtout sur le plan fiscal.

En fait, résume Jeanne Morrissey, «ce n'est pas nous qui avons changé, ce sont les républicains!»

Elle loue «l'intelligence extraordinaire» du président. «Je n'ai jamais eu d'étiquette politique, dit-elle. Je serais républicaine si George Aiken était encore sénateur [NDLR sénateur du Vermont de 1941 à 1975, républicain et progressiste, si populaire auprès de ses électeurs qu'il n'aurait eu à dépenser que 17,09$ lors de sa dernière campagne électorale, en 1968]. Être républicain, à l'époque, c'était être travailleur et indépendant du gouvernement, prendre soin de soi-même et de ses voisins. C'était avoir de la compassion pour sa communauté.»

«Ils sont devenus fous!», s'exclame pour sa part Mark Archambault, dans un snack-bar près de St. Albans. L'homme votera Obama all the way. «Je suis libertaire», dit-il. Il appuie le retrait des troupes militaires américaines d'Irak et d'Afghanistan, «la seule bonne chose à faire», tout comme le mariage entre conjoints du même sexe.

Même s'il n'est pas d'accord avec toutes les mesures sociales prônées par Obama, le candidat démocrate reste le seul choix valable à ses yeux.

«La première fois que j'ai entendu parler Obama, je me suis dit que cet homme-là n'était pas comme les autres», se rappelle Doug Dows, retraité, rencontré dans un café de Burlington. Lui non plus ne se définit pas comme démocrate, mais plutôt comme «progressiste à mort»! Doug Dows salue la réforme «magistrale» du système de santé et, même s'il souhaiterait voir son candidat pousser davantage ses innovations sociales, il estime qu'il est difficile de faire mieux. «Je sais reconnaître la réalité politique de Washington, dit M. Dows. Mais les présidents peuvent davantage se permettre d'être eux-mêmes dans le deuxième mandat.» Si Romney est élu, selon lui, ce sera «un désastre».

***

Trish Siplon aussi votera Obama. Mais l'enthousiasme est retombé depuis quatre ans.

«S'il n'en tenait qu'à moi, je voterais pour le Parti vert. Mais comme l'élection d'Obama n'est pas certaine, je vais voter pour lui.»

Professeure de sciences politiques au collège Saint Michael, à Colchester, au nord de Burlington, elle ne cache pas sa déception à l'égard du président, qui avait tant promis il y a quatre ans. «Je suis de gauche. Je trouve que la gauche ne critique pas Obama autant qu'elle le devrait pour sa politique des droits de la personne.» Sa mollesse vis-à-vis d'Israël, l'utilisation de drones, la fermeture retardée de Guantánamo... «Même Bush a fait mieux dans la lutte contre le sida!», se désole Mme Siplon.

«C'est probablement du côté des pacifistes qu'Obama perdra des votes au Vermont, croit aussi Doug Dows. Au Vermont, il y a environ 30% de républicains convaincus qui voteraient même pour une plante verte. Les autres voteront surtout démocrate.»

«Si Romney est élu, on déménage au Canada!», lance spontanément une productrice agricole devant son étal de légumes près de Swanton, dans ce Vermont rural où les républicains devraient marquer des points. Mais ici encore, rien à faire. C'est Obama ou rien.

Dans la verte campagne vermontoise, aucun candidat à la Maison-Blanche n'a pris la peine de poser des pancartes. Obama peut compter sur l'appui du Green State. Mais pour le reste du pays... Les Vermontois restent optimistes. «La mauvaise performance d'Obama lors du premier débat est peut-être la meilleure chose qui ait pu lui arriver, dit Jeanne Morrissey. Si on est partisan d'Obama et qu'on pense qu'il va gagner, on n'ira peut-être pas voter. Mais si, tout à coup, la possibilité d'avoir Mitt Romney comme président devient réelle, alors on se débrouillera pour aller voter!»

Le Vermont en chiffres:

Population: 625 741 habitants

Taux de chômage: 5,4% (en septembre 2012)

Élection de 2008 : John McCain, 30%, Barack Obama 68%

Groupes ethniques : Blancs: 94,3%, Latinos: 1,5%, Noirs: 0,9%

Ville la plus importante: Burlington, 42 417 habitants