Victor Palafox parle anglais comme Barack Obama. Il parle fort et beaucoup, comme la plupart des jeunes Américains de son âge. Depuis qu'il est tout petit, il essaie de se fondre dans le décor. Mais l'été dernier, il en a eu assez. Il a décidé de sortir du placard.

Il ne l'a pas fait pour proclamer son orientation sexuelle à son entourage. La sortie de placard de Victor Palafox est d'un autre genre. Au milieu du parc Kelly Ingram, au centre-ville de Birmingham, il a dit haut et fort qu'il était un immigrant sans papiers. Un immigrant «illégal» aux yeux du gouvernement de l'État d'Alabama, où la famille de Victor Palafox a élu domicile lorsqu'il n'avait que 6 ans.

«J'ai décidé que mon avenir ne dépendrait pas d'une loi ou d'un politicien. Je suis d'abord sorti du placard auprès de mes professeurs, de mes amis qui ne savaient pas. Puis en public. Je l'ai fait pour me donner du pouvoir. Pour donner de la visibilité à notre cause», dit le jeune homme de 20 ans au visage enfantin, assis à la table de la cuisine de la maison familiale. Une coquette maison mobile, entourée de rosiers. Sur le comptoir, de petits piments chilis ont été mis à sécher. La statue de la Vierge Marie semble écouter la conversation.

Dans le parc de maisons mobiles qu'il habite, à Pelham, en banlieue de Birmingham, Victor Palafox a vite trouvé d'autres jeunes sans papiers prêts à combattre avec lui. Son frère de 15 ans. Et la petite Joceline Martinez, 14 ans. Ensemble, ils ont créé la première organisation d'immigrants illégaux de l'Alabama, l'Immigrant Youth Leadership Initiative of Alabama (L'initiative de leadership des jeunes immigrants de l'Alabama).

En balayant des doigts sa longue chevelure noire, Joceline raconte avec émotion son parcours. Lors de l'entrée en vigueur de la loi, sa mère a décidé de plier bagage et est repartie au Mexique avec sa petite soeur. À l'instar de beaucoup de parents forcés de partir, elle a confié sa fille à un proche qui possède un statut légal aux États-Unis. «Ça fait un an que je les ai perdus [les membres de sa famille]. Un an et un mois. Cette loi est la pire chose qui pouvait arriver à ma famille. C'est incroyable que des gens fassent des choses aussi cruelles», dit la frêle adolescente en pleurant. Malgré la déchirure, elle garde le cap. «Je veux être la première de ma famille à terminer l'école secondaire. Ensuite, je veux devenir médecin.»

Amitiés atypiques

Pour défendre leur cause, Joceline comme Victor participent à des veilles, à des conférences. Ils ont même tenu tête au sénateur qui est à l'origine de la loi HB 56 lors d'une audience publique. Depuis le début, des militants pro-immigration les soutiennent. Mais depuis quelques mois, ils reçoivent aussi le soutien d'alliés moins conventionnels: des chrétiens évangélistes.

«Ceux qui ont mis de l'avant la loi pensaient que la haine de l'étranger était bien ancrée en Alabama», dit l'avocat Myron Allenstein, qui a grandi dans l'Alabama ségrégationniste des années 50. «Ils n'ont pas vu venir le boomerang. Ils pensaient que la loi créerait des emplois et ça n'a pas eu lieu. En plus, ils ont séparé des mères de leurs enfants. Dans les familles conservatrices, qui soutenaient à l'origine la loi, ça ne passe pas», explique M. Allenstein qui, en plus de pratiquer le droit, est pasteur dans une église baptiste.

Le dimanche, il est souvent invité à parler des effets néfastes de la loi dans les églises, premier terreau politique des républicains qui ont mis la loi de l'avant.

Myron Allenstein fait aussi partie d'un groupe qui propose une solution de rechange aux lois anti-immigration de l'Alabama, de l'Arizona, du Missouri et de la Géorgie. Intitulé le «compact de l'Alabama», ce projet suggère de mettre la compassion et les droits de la personne au coeur d'une nouvelle loi sur l'immigration. L'initiative, qui a débuté en Utah, gagne de plus en plus d'États. En Alabama, d'autres ténors de la droite, dont l'animateur de radio MN Cothran, qui a d'abord soutenu le projet de loi avant d'en devenir un fervent détracteur, participent au projet. «L'Alabama est un État républicain, mais pour être réélus, les républicains vont avoir du fil à retordre», croit l'avocat, convaincu que l'Alabama des vieilles lois racistes dans lequel il a grandi est bel et bien disparu.