Le groupe djihadiste État islamique (EI) a diffusé hier une vidéo dans laquelle il revendique la décapitation du reporter Steven Sotloff, 31 ans, deuxième journaliste américain à subir ce sort depuis un mois. Une campagne qui vise à faire peur à l'Occident, mais qui pourrait se retourner contre l'EI, analyse Philip J. Crowley, ex-responsable au département d'État sous Barack Obama et chercheur à I'Institut de diplomatie publique de l'Université George Washington. La Presse lui a parlé hier.

Q: Que cherche à accomplir l'État islamique avec ces actes de violence et ces vidéos?

R: Ils ont des objectifs multiples. Ils essaient d'envoyer un message aux États-Unis, de faire cesser les bombardements de leurs positions en Irak. Je crois aussi que c'est un moyen pervers d'accroître leur visibilité auprès de recrues potentielles, particulièrement auprès des hommes des pays occidentaux qui pourraient décider de rejoindre le conflit en Irak et en Syrie. L'EI utilisait déjà les médias et les réseaux sociaux comme outils de recrutement, avec succès: les chiffres ne sont pas énormes, mais ils sont révélateurs. La capacité qu'ils ont de recruter des hommes musulmans des pays occidentaux représente un défi pour la sécurité des États-Unis, du Canada et d'autres pays.

Q: En voulant faire trembler Washington, l'État islamique se tire dans le pied, selon vous?

R: Si leur intention est de changer la politique étrangère des États-Unis, je crois que cela va se retourner contre eux. Au contraire, cela accentue les pressions politiques sur les pays occidentaux pour combattre l'État islamique, en collaboration avec les autres pays dans la région.

Pour combattre cette forme d'extrémisme politique, les pays occidentaux ont bien sûr des intérêts dans les conflits qui font rage dans des pays comme l'Irak et la Syrie. Or, quand vous voyez des vidéos qui font l'éloge de la barbarie, la question est de savoir qui définira l'avenir de la société islamique. Si l'on est optimiste, on se dit que très peu de musulmans veulent vivre dans le type de société que l'État islamique souhaite créer. Au-delà de la réponse plus déterminée de l'Occident, la question est de voir comment le monde islamique réagira. L'État islamique représente une perversion de l'islam, une religion de paix. Qui, au Moyen-Orient, reprendra à la fois le territoire physique et idéologique occupé par l'EI?

Q: L'Occident a-t-il sous-estimé les capacités des militants de l'État islamique?

R: L'État islamique n'est pas né en vase clos: c'est une bouture d'Al-Qaïda. C'est un groupe connu depuis plusieurs années. Leurs méthodes brutales ne sont pas inédites: on pense à la décapitation du journaliste Daniel Pearl au Pakistan, en 2002. Ce qui est surprenant, c'est la vitesse à laquelle l'État islamique a pu prendre des territoires en Syrie et en Irak - et les défendre avec succès. C'est ce qui distingue le groupe des autres groupes similaires et de ses prédécesseurs. Ils ont du savoir-faire, ils ont des ressources, des armes, etc. Par contre, nous devons aussi nous rappeler qu'ils ne sont pas des géants de 2 m de haut. Dans leur nom, ils utilisent le mot «État», mais leurs capacités et leurs ressources représentent une fraction de celles d'un véritable État. Ils ne sont pas invincibles. En fait, je m'attends à ce qu'ils soient défaits. Al-Qaïda en Irak, groupe prédécesseur, a fini par perdre son influence et son emprise, et je m'attends à ce que la même chose se produise avec l'État islamique.

Ce qu'ils ont dit

«S'[il est] avéré, nous sommes consternés par le meurtre brutal d'un journaliste américain innocent et nous présentons à sa famille et à ses amis nos plus sincères condoléances.» 

Bernadette Meehan, porteparole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche 

«La famille a été informée de l'horrible tragédie et vit son deuil en privé. Il n'y aura pas de déclaration publique de la famille en ces moments difficiles.» 

- Un porte-parole de la famille de Steven Sotloff 

«S'il se vérifie, il s'agit d'un meurtre ignoble et barbare. Mes pensées sont pour la famille de Steven Sotloff.» 

- David Caremon, premier ministre de Grande-Bretagne, sur Twitter

-Avec l'Agence France-Presse