L'Égypte se préparait à de nouvelles manifestations samedi après l'appel des islamistes à protester quotidiennement, tandis que la police poursuivait à l'aube le siège d'une mosquée du Caire où sont retranchés de nombreux manifestants, après une journée de violences qui a fait plus de 83 morts.

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Samedi à l'aube, la police faisait toujours le siège de la mosquée Al-Fath du centre du Caire transformée en morgue de fortune contenant au moins 20 cadavres, où seraient réfugié près d'un millier de personnes selon le témoignage d'un manifestant joint par l'AFP. Ce chiffre ne pouvait être confirmé de source indépendante.

Des coups de feu ont été échangés au début de siège, mais ils ont cessé dans la nuit, selon des manifestants joints par l'AFP.

Vers 1 h du matin, l'armée a proposé de laisser sortir les femmes, mais réclamé de pouvoir interroger les hommes, ce que les manifestants ont refusé, a assuré l'un d'eux.

Samedi matin, le ministère de l'Intérieur a par ailleurs annoncé qu'un millier d'islamistes proches des Frères musulmans, 1004 précisément, avaient été arrêtés la veille dans le cadre des manifestations du «vendredi de la colère» auxquelles avait appelé la confrérie.

Alors que des quartiers entiers du Caire ont été transformés en champs de bataille tout au long de la journée durant laquelle les pro-Morsi se sont mobilisés en masse à travers le pays, les manifestations ont quasiment cessé une heure après l'entrée en vigueur du couvre-feu nocturne, à l'appel des Frères musulmans, la confrérie de M. Morsi.

Ceux-ci ont néanmoins appelé à des manifestations quotidiennes à compter de samedi pour dénoncer la mort mercredi de 578 personnes, en majorité des pro-Morsi tués dans la dispersion par l'armée et la police de leurs camps au Caire, la journée la plus sanglante depuis la chute du régime de Hosni Moubarak en février 2011.

Les Frères musulmans ont évoqué 2200 morts mercredi.

Le pouvoir mis en place par l'armée après la destitution de M. Morsi le 3 juillet affirme désormais se battre contre un «complot terroriste malveillant des Frères musulmans». Il avait autorisé vendredi policiers et soldats à ouvrir le feu sur les manifestants qui attaqueraient les forces de l'ordre ou des bâtiments publics.

Face à cette escalade, qui fait craindre que le pays - sous état d'urgence - ne bascule dans le chaos, des pays européens ont dit envisager de réexaminer leurs relations avec Le Caire.

Tirs d'armes automatiques

Dans la capitale verrouillée par l'armée et quadrillée par des «comités populaires» de partisans du nouveau pouvoir - souvent des milices de jeunes armés et excités -, des tirs d'armes automatiques ont retenti toute la journée dans différents quartiers, notamment autour de la place Ramsès où étaient massés des milliers de pro-Morsi.

Dans deux morgues improvisées dans des mosquées du quartier, un correspondant de l'AFP et des témoins ont compté au moins 39 corps. C'est l'une d'elles que la police assiégeait dans la nuit.

En outre, 44 personnes ont été tuées dans différentes autres provinces, dont 10 par les forces de l'ordre à Suez parce qu'une manifestation bravait le couvre-feu, selon des sources de sécurité.

Le parti de la Liberté et de la Justice, le bras politique des Frères musulmans, a fait état de 130 morts dans la capitale seule.

Dans le centre du Caire, des témoins ont rapporté avoir vu un homme sauter d'un pont pour éviter les balles alors que les chars se dirigeaient vers les manifestants.

Le ministère de l'Intérieur a fait état de plusieurs attaques des pro-Morsi contre des postes de police.

Appel à des «mesures appropriées» de l'UE

Vendredi, la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a invité les États membres de l'Union européenne à prendre «des mesures appropriées» lors d'une réunion prévue lundi à Bruxelles.

Les grands pays européens ont continué à déconseiller les voyages en Égypte, alors que la Suède, la Norvège et la Finlande ont rapatrié leurs ressortissants qui y faisaient du tourisme.

Amnesty International a de son côté appelé à une enquête complète et impartiale sur le récent bain de sang, estimant que la réponse des forces de l'ordre aux manifestations avait été «largement disproportionnée». L'organisation de défense des droits de l'Homme demande également que des experts de l'ONU soient autorisés à enquêter en Égypte.

La Turquie a, elle, rappelé son ambassadeur en Égypte, et le Caire a aussitôt rappelé son représentant à Ankara et annulé des manoeuvres navales prévues avec la Turquie pour protester contre son «ingérence».

En revanche, le roi Abdallah d'Arabie saoudite a affirmé soutenir le pouvoir égyptien «face au terrorisme» et mis en garde contre «les ingérences» dans ce pays. La Jordanie a elle aussi dit soutenir le gouvernement égyptien dans sa lutte pour «combattre le terrorisme».

Mais dans la rue, des centaines de personnes ont manifesté à l'appel de groupes islamistes à Khartoum, Amman, Rabat, Jérusalem-Est et en Cisjordanie pour dénoncer «le coup d'État» contre Mohamed Morsi.

Le 3 juillet, le chef de l'armée Abdel Fattah el-Sissi, désormais le nouvel homme fort de l'Égypte, a invoqué la mobilisation de millions de personnes réclamant le départ de M. Morsi pour justifier sa destitution.

Les pro-Morsi dénoncent un coup d'État contre le premier président démocratiquement élu du pays alors que ses détracteurs l'accusent d'avoir gouverné au profit des seuls Frères musulmans et d'avoir laissé le pays s'enfoncer dans la crise économique.