Le jugement annulant les législatives prévues dans moins de deux mois en Égypte est un revers pour le président islamiste Mohamed Morsi, qui a déjà dû faire marche arrière sur certaines de ses décisions et fait face à une contestation croissante.

Le verdict, qui plonge le calendrier électoral dans l'incertitude, ajoute à la confusion dans un pays qui n'est toujours pas sorti d'une transition politique chaotique et émaillée de violences, deux ans après la chute d'Hosni Moubarak.

La décision de la justice administrative «n'est pas bonne pour le président. Elle renforce le sentiment selon lequel ses décisions ne sont pas étudiées et ses conseillers pas compétents», dit Mustapha Kamel al-Sayyed, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire.

«Morsi n'avait pas besoin de davantage de preuves pour montrer qu'il a échoué en tant que président», estime de son côté l'analyste indépendant Hicham Kassem.

La justice administrative a annulé mercredi le décret dans lequel le chef de l'État convoquait des législatives pour le 22 avril et arrêté le scrutin pour un vice de procédure dans l'adoption de la loi électorale.

Pour M. Morsi, ces élections devaient clore une transition mouvementée et rétablir la stabilité, un argument déjà abondamment utilisé pour faire passer en décembre par référendum une nouvelle Constitution très contestée.

Le chef de l'État, issu des Frères musulmans, avait déjà dû faire marche arrière sur un décret par lequel il s'était accordé en novembre des pouvoirs exceptionnels, qui avait déclenché une grave crise politique et des semaines d'affrontements.

En décembre, il avait aussi suspendu des hausses de taxes sur des produits de base et de grande consommation quelques heures avant leur entrée en vigueur, par crainte des retombées sociales. Il avait par contrecoup semé le doute sur sa volonté de redresser les finances du pays, au bord de la banqueroute.

La présidence a enfin dû changer la date du début des législatives, car elles coïncidaient avec des fêtes religieuses chrétiennes, ce qui avait provoqué la colère de l'importante minorité copte.

La principale coalition de l'opposition, le Front du salut national (FSN), qui avait annoncé qu'elle boycotterait le scrutin, s'est réjouie dans un communiqué de la décision de justice.

Le FSN «ne peut qu'accueillir favorablement le verdict (...), qui renforce la position du Front depuis le début, à savoir que la loi électorale a été préparée dans une précipitation suspecte par un Sénat dominé par les Frères».

«Le tribunal suspend les élections législatives : le désordre se poursuit, gracieusement offert par l'échec épique de la gouvernance», a ironisé le coordinateur du FSN, le Prix Nobel de la Paix Mohamed ElBaradei, sur son compte Twitter.

Le FSN, qui a réclamé une loi électorale consensuelle, a maintes fois accusé les Frères musulmans d'avoir l'intention de «prendre l'Égypte en otage politiquement et de monopoliser ses institutions».

Selon M. al-Sayyed, la loi électorale a été «taillée sur mesure pour les Frères musulmans».

Le découpage des circonscriptions électorales par exemple a été critiqué par plusieurs observateurs, et certains hommes politiques ont dénoncé une carte électorale défavorable aux Coptes.

Les Frères musulmans et les salafistes dominaient la précédente Assemblée élue à l'hiver 2011-2012 et dissoute en juin 2012, après une décision de la plus haute juridiction d'Égypte jugeant la loi électorale anticonstitutionnelle.

Pour M. Kassem, la décision de la justice administrative est positive en ce qu'elle évite une répétition de ce scénario, la loi risquant d'être invalidée après la tenue du scrutin.

Mais le report des élections n'est pas l'équivalent d'un sursis pour le président, estime-t-il. «La situation est très mauvaise, économiquement et politiquement, et des troubles auront lieu quand même», prédit-il.