L'Égypte traverse sa plus importante crise depuis le soulèvement populaire qui a poussé Hosni Moubarak à quitter le pouvoir en février 2011. Depuis deux semaines, les manifestations se multiplient, sombrant souvent dans de violentes altercations. Au coeur de la discorde: un référendum sur un projet de nouvelle constitution qui doit avoir lieu samedi. Et deux camps d'Égyptiens que tout semble séparer. Le reportage de nos envoyés spéciaux au Caire, Laura-Julie Perreault et Marco Campanozzi.

Hicham Ibrahim ne quitte plus son casque de construction. Jour et nuit, il a le couvre-chef jaune vissé sur la tête. «Il faut être prêt à tout», affirme l'Égyptien de 40 ans avec un sourire narquois, convaincu que son casque lui a sauvé la vie.

Depuis 10 jours, M. Ibrahim «campe» devant le palais présidentiel, dans le chic quartier d'Héliopolis, au Caire. Hier, lors de notre visite, à peine une centaine d'hommes étaient à ses côtés. Mais la semaine dernière, ils étaient des dizaines de milliers à demander le départ du plus récent locataire de l'endroit, le président Mohamed Morsi, en poste depuis juin.

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Le 22 novembre, lorsque le président égyptien a émis un décret qui lui permettait d'exercer son pouvoir de manière absolue, et donc d'échapper aux lois et à toute contestation judiciaire, Hicham Ibrahim et ses amis se sont rendus à la place Tahrir - celle-là même qui a vu naître la révolution égyptienne de 2011 - pour protester.

Quand le président a décidé de convoquer un référendum sur un projet de constitution controversé, lui et ses acolytes - appartenant pour la plupart à des partis d'opposition libéraux - ont décidé de faire entendre leur désaccord sous les fenêtres du président. Mais ce n'était pas sans risque.

«Vous voyez la mosquée derrière, dit-il en pointant un petit lieu de culte situé face au palais présidentiel. Des partisans de Morsi y sont entrés la semaine dernière pour prier. Quand ils sont ressortis, ils nous ont attaqués», raconte-t-il, en notant que son casque l'a protégé de dizaines de projectiles.

Les confrontations entre les pro- et les anti-Morsi ont fait sept morts les 5 et 6 décembre. Dans les deux camps.

Pour calmer le jeu, les Frères musulmans, puissante organisation islamiste dont Morsi a été un dirigeant, ont invité leurs partisans à se retirer de l'enceinte du palais présidentiel. Des tanks de l'armée et des soldats ont été déployés. Hier, une barricade, faite d'immenses blocs de béton, a été mise en place. «Le mot d'ordre que nous avons reçu est de laisser rentrer seulement les manifestants anti-Morsi dans l'enceinte», a dit un policier à La Presse.

Sur le plan politique, Mohamed Morsi a fait une concession majeure à son opposition en annonçant, dans la nuit de vendredi à samedi, qu'il annulait le décret par lequel il s'était donné des pouvoirs étendus.

Mais Hicham Ibrahim et ses amis n'ont pas levé le camp pour autant et dorment nuit après nuit devant le palais. «Ce n'est qu'un sale truc. Il pense que nous allons nous calmer. Que nous allons arrêter de protester contre lui, mais il n'y a aucune chance», tonne Mohammed Masri, un autre «campeur» du palais présidentiel. «Hosni Moubarak a été condamné parce qu'il n'a pas arrêté la violence contre les manifestants l'an dernier. Morsi est complice des milices des Frères musulmans qui nous ont attaqués il y a quelques jours», lance le grand brun, le regard rempli de colère.

Référendum décrié

À la place Tahrir, où des centaines de partisans de l'opposition au président Morsi font aussi du camping, l'humeur était également à l'orage, hier. «Dégage, Morsi. Dégage. On n'en veut pas de ton référendum», scandaient des groupes de manifestants en faisant le tour de la place. Ils affirment tous que le projet de constitution, qui fera l'objet d'un vote samedi prochain, est la créature des islamistes et minerait les droits des minorités et des femmes.

Les leaders des mouvements d'opposition, unis sous la bannière du Front du Salut national, ont d'ailleurs affirmé hier, en conférence de presse, que tant que le président Morsi n'annulera pas le référendum du 15 décembre, il doit s'attendre à de «nouvelles confrontations».

«Nous sommes contre le processus du début à la fin», a dit en soirée Hussein Abdel Ghani, porte-parole du Front du Salut national. Les trois principaux leaders du mouvement, Mohamed El-Baradei, ancien inspecteur en chef de l'agence nucléaire onusienne, Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères sous Hosni Moubarak, et Hamdeen Sabahy, chef d'un parti de gauche, étaient absents à la conférence de presse. Ils ont cependant enjoint leurs partisans à manifester en grand nombre demain contre le nouveau régime.

Hier, autant à la place Tahrir qu'au palais présidentiel, nombreux étaient les volontaires pour un nouveau round de manifestations. «Nous sommes prêts à tout pour freiner le vol de notre révolution. Ce dictateur de Morsi doit partir», affirme Mohamed Zaka, 36 ans, en levant le bras au-dessus de son casque de construction.

DEUX SEMAINES DE CRISE



22 novembre

Par décret, le président Mohamed Morsi s'accorde des pouvoirs étendus qui le mettent au-dessus de la loi et des tribunaux égyptiens qui, selon lui, représentent toujours le point de vue de l'ère Moubarak. Les manifestants sont de retour à la place Tahrir.

30 novembre

L'Assemblée constituante, contrôlée par les Frères musulmans et leurs alliés islamistes, adopte un projet de constitution. La plupart des femmes et des Coptes qui faisaient partie du comité se sont retirés avant l'adoption.

1er décembre

Mohamed Morsi annonce qu'un référendum se tiendra le 15 décembre. Selon la loi, ce référendum doit avoir lieu dans les deux semaines suivant l'adoption d'un projet de constitution.

5 et 6 décembre

Des manifestations devant le palais présidentiel dégénèrent en violentes altercations entre des opposants et des partisans du président égyptien. On dénombre six morts et plus de 400 blessés au cours de la confrontation.

7 décembre

Des tanks de l'armée sont déployés devant le palais présidentiel. Malgré leur présence, des manifestants tentent d'entrer dans l'enceinte du palais.

8 décembre

Le président Morsi rencontre certains partis d'opposition. Cependant, la principale coalition d'opposition, le Front du Salut national, n'y participe pas. À la fin de la réunion, Morsi annonce qu'il lève le décret qui étendait ses pouvoirs, mais il ne repousse pas la date du référendum. L'armée, muette depuis le début de la crise, affirme qu'elle est prête à intervenir pour empêcher le pays de s'engager dans un «tunnel obscur».

9 décembre

Les partis d'opposition affirment que les confrontations vont se poursuivre tant que le référendum ne sera pas annulé. Ils appellent leurs partisans à manifester en grand nombre le 11 décembre.

15 décembre

Date prévue du référendum sur le projet de constitution.