Le palais présidentiel est bouclé par l'armée. Des manifestants qui sont réunis sur la place Tahrir réclament que le président Mohamed Morsi, désormais déclaré au-dessus des lois et du système judiciaire, recule sur sa refonte de la Constitution. Le célèbre chant du Printemps arabe, « le peuple veut renverser le régime», résonne dans tout le pays. L'opposition refuse tout dialogue avec l'administration Morsi sans des modifications considérables à la nouvelle Constitution.L'Égypte se retrouve de nouveau au coeur d'une crise sociale et politique. Le président américain Barack Obama a lancé un appel au calme, hier, au lendemain d'affrontements qui ont fait six morts et près de 700 blessés. Tout comme son prédécesseur Hosni Moubarak, le président Morsi devra-t-il partir ? Les récents débordements font croire que les Égyptiens ont repris une révolution qui leur semblait inachevée.

Elle était belle, cette ferveur qui a gagné l'Égypte en janvier 2011, mais son nouveau président privera-t-il les révolutionnaires des fruits de leur soulèvement? Ferry de Kerckhove, ex-ambassadeur du Canada qui habitait à un jet de pierre de la place Tahrir lors du Printemps arabe, en a été un témoin privilégié. Il espère que le président Mohamed Morsi va baisser le ton.

Q Y a-t-il un rapprochement à faire entre le soulèvement de 2011 et celui d'aujourd'hui?

R Le 25 janvier 2011 a été l'explosion remarquable d'une volonté populaire appuyée par les militaires, qui ont vite vu qu'Hosni Moubarak ne leur était plus d'une grande utilité. Cet appui des militaires a donc permis d'éviter une coulée de sang encore plus importante et la chute assez rapide de Moubarak. Ce n'est pas le cas cette fois, et les Frères musulmans ne font pas non plus partie du présent soulèvement. Au contraire, ils se sentiraient trahis si le président Morsi, issu de leurs rangs, reculait.

Q Pourquoi ce soulèvement a-t-il lieu maintenant, précisément?

R Les élections parlementaires de juin 2011 se sont déroulées démocratiquement, suivies de l'élection présidentielle qui s'est aussi tenue dans des conditions assez favorables. Mais depuis, il y a une certaine nostalgie de la place Tahrir parce que la révolution est au point mort. Les institutions n'ont pas suivi, l'économie s'est effondrée et Morsi a fait la gaffe majeure de s'arroger les pleins pouvoirs en promettant que ce n'était que temporaire, le temps que la Constitution soit mise en place (un référendum sur la question est prévu à la mi-décembre). On ne peut pas demander à des Égyptiens qui venaient de faire la révolution et de voir tomber des proches au combat de signer un tel chèque en blanc à leur président.

Q Les juges, qui montent au front avec force contre le président Morsi, sont-ils bien intentionnés?

R Ils l'étaient au départ et ils voulaient sincèrement, je crois, défendre les fruits de la révolution. Avec le temps, cependant, j'estime qu'il y a eu politisation à outrance du judiciaire. Les juges ont annulé le résultat des élections législatives, ils ont dissous le Parlement, ils ont cherché à dissoudre le comité constitutionnel et ils font maintenant grève. Les juges se sont mis à trop se mêler de tout et, aux yeux de Morsi, ils ont déstabilisé le pays.

Q Avez-vous espoir que les choses ne dégénèrent pas davantage?

R J'espère que Morsi renoncera aux pleins pouvoirs qu'il s'est arrogés et qu'il reportera le référendum de deux ou trois semaines, le temps que le document constitutionnel soit revu. Il faudrait sans doute réunir à la même table quelques juristes, quelques membres des Frères musulmans et certaines des figures de proue de la contestation actuelle, tel l'ancien chef de l'agence nucléaire de l'ONU Mohamed El Baradei. Chose certaine, les Frères musulmans la trouvent parfaite, cette Constitution qui ne prévoit pas l'égalité entre les hommes et les femmes et qui stipule que l'État jouera le rôle de guide des valeurs familiales - avec le risque de dérives que cela peut provoquer.

Q Est-il temps que les puissances occidentales s'en mêlent?

R J'espère que le président Obama va se montrer plus ferme. Le Canada, lui, n'a jamais eu beaucoup de sympathie pour les soulèvements dans les pays arabes, de crainte que cela ne menace la sécurité en Israël. Une chose est sûre: désormais, les Occidentaux vont devoir apprendre à établir des liens avec des régimes de nature plus théocratiques.

Q Quels souvenirs gardez-vous du Printemps arabe de 2011?

R C'était dur, mais c'était beau! Les révolutionnaires avaient un tel enthousiasme, une telle intelligence, une telle ouverture! J'espère que leur révolution finira par donner quelque chose.