Des milliers d'opposants et de partisans du président islamiste de l'Égypte se sont affrontés dans plusieurs villes du pays vendredi, incendiant des bureaux des Frères musulmans. Ce sont les manifestations les plus violentes en Égypte depuis l'arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi, en juin.

Les affrontements, qui ont fait au moins 100 blessés, illustrent la dangereuse polarisation des Égyptiens sur l'avenir de leur pays, près de deux ans après la chute du président autoritaire Hosni Moubarak.

Les opposants du président Morsi l'accusent de s'être attribué des pouvoirs dictatoriaux. Le décret que le président a annoncé jeudi lui accorde l'immunité judiciaire et lui donne l'autorité de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face aux «menaces contre la révolution».

Vendredi, le président s'est adressé à une foule de partisans réunie devant le palais présidentiel. Il a déclaré que son décret visait à empêcher «une minorité» de détourner les objectifs de la révolution.

«Il y a des charançons qui dévorent la nation égyptienne», a dit Mohamed Morsi, en accusant les partisans de l'ancien régime de se servir de leur fortune pour créer l'instabilité, et les membres du système judiciaire de vouloir «faire du mal au pays».

Des affrontements entre opposants et partisans du président ont éclaté dans plusieurs villes du pays. À Alexandrie, dans le nord de l'Égypte, des foules de manifestants anti-Morsi ont attaqué des partisans des Frères musulmans qui sortaient d'une mosquée, leur lançant des pierres et des pétards. Ceux-ci ont tenté de se protéger avec des tapis de prière et ont répliqué en lançant eux aussi des pierres. L'affrontement a fait au moins 15 blessés.

Les manifestants ont ensuite attaqué un bureau des Frères musulmans situé à proximité.

Selon la télévision publique, des manifestants ont aussi incendié les bureaux du bras politique des Frères musulmans à Suez, Ismaïlia et Port Saïd, à l'est du Caire.

Dans la capitale, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes contre des milliers de manifestants pro-démocratie qui affrontaient la police antiémeute dans les rues autour du Parlement.

Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur l'emblématique place Tahrir, dénonçant le président Morsi et réclamant son départ. «Pars, pars», «Morsi est comme Moubarak», «La révolution est partout», scandaient-ils.

Plusieurs des manifestants présents sur la place Tahrir représentaient la classe égyptienne fortunée et l'élite libérale. Cette frange de la population n'a pas participé aux manifestations des derniers mois, mais elle s'était montrée très active lors du soulèvement populaire contre le régime Moubarak, en 2011.

«Nous sommes dans un état de révolution. Il est fou s'il croit qu'il peut revenir à un régime géré par une seule personne», a lancé une manifestante, Sara Khalili, au sujet de Mohamed Morsi. «Cette décision montre à quel point il n'est pas sûr de lui et à quel point il est faible, car il sait qu'il n'y a pas de consensus.»

«Si le slogan des Frères musulmans est »l'islam est la solution, «le nôtre est » la soumission n'est pas la solution«», a ajouté Mme Khalili, professeure de communications à l'université américaine du Caire.

La frustration a considérablement augmenté en Égypte depuis que Mohamed Morsi a accédé à la présidence. Les critiques affirment que les Frères musulmans, dont est issu le président, ont monopolisé le pouvoir et n'ont pas su gérer les problèmes économiques du pays et le manque de sécurité.

Les partisans du président, de leur côté, affirment qu'il fait face à des reculs constants imposés par les loyalistes de l'ancien régime et les tribunaux, où les loyalistes restent très présents.

Les tribunaux égyptiens examinent une série de poursuites réclamant la dissolution de l'assemblée chargée de rédiger la Constitution, dominée par les islamistes. Les tribunaux ont déjà dissous la précédente assemblée constituante et la chambre basse de Parlement, à majorité islamiste.

Mohamed Morsi a annoncé l'élargissement de ses pouvoirs jeudi, au lendemain de sa victoire diplomatique dans le conflit entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. La veille, M. Morsi avait reçu la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, tout juste avant l'annonce de la trêve israélo-palestinienne.

En vertu du décret annoncé jeudi par le président Morsi, toutes les décisions qu'il a prises ne pourront être contestées en justice ni invalidées sur ordre judiciaire. Il a accordé une protection similaire à l'assemblée constituante et à la chambre haute du Parlement, elle aussi dominée par les islamistes.

Mohamed Morsi, qui détient le pouvoir exécutif et législatif, s'est également octroyé le pouvoir de prendre toutes les mesures nécessaires contre les «menaces à la révolution», les menaces à la sécurité publique et les menaces contre les travaux des institutions de l'État.

Les opposants du président estiment que ces nouvelles mesures donneront à Mohamed Morsi encore plus de pouvoirs que ceux qu'avait Hosni Moubarak tout au long de son règne.

Le décret sera en vigueur jusqu'à l'adoption d'une nouvelle Constitution et la tenue de nouvelles élections parlementaires, ce qui n'aura pas lieu avant le printemps.