Le président égyptien Mohamed Morsi a relancé la révolution à toute vapeur, dimanche, en envoyant deux généraux à la retraite. Cette décision, combinée à une limitation des pouvoirs des militaires, donne au premier président élu de l'Égypte des pouvoirs étrangement semblables à ceux de l'ex-dictateur Hosni Moubarak.

Les deux plus hauts gradés de l'armée égyptienne viennent d'être démis de leurs fonctions par le président Mohamed Morsi. La révolution est-elle revenue sur ses rails, après des victoires tactiques des militaires le printemps dernier? La Presse s'est entretenue avec Stephen McInerney, directeur du Projet sur la démocratie au Moyen-Orient, à Washington. M. McInerney a vécu deux ans au Caire, de 2002 à 2004, et visite le pays régulièrement depuis.

Q: Le limogeage de Hussein Tantaoui, ministre de la Défense depuis 20 ans, et de son numéro deux Sami Anan est-elle une nouvelle importante?

R: Certainement. Il semble s'agir d'une entente avec l'armée. Certains généraux plus jeunes ont été promus, et la faction que dirigeaient Tantaoui et Anan a semblé surprise de l'annonce. Il est toujours possible que l'armée résiste au cours des prochains jours. Mais comme Morsi semble s'être allié l'appareil judiciaire en nommant un juge important, Mahmoud Mekki, comme vice-président, les chances de succès de Morsi et des Frères musulmans sont bonnes. Juste avant l'élection présidentielle du printemps dernier, l'appareil judiciaire avait rendu un jugement très favorable aux militaires en dissolvant le Parlement élu l'automne dernier, dominé par les Frères musulmans.

Q: Les autorités égyptiennes viennent d'annoncer la mise en accusation des patrons d'un journal et d'une chaîne de télévision pour «offense» au président Morsi. Y a-t-il un lien avec les changements dans la hiérarchie militaire?

R: Morsi a également restreint les pouvoirs des militaires qui, jusqu'à maintenant, dominaient totalement le gouvernement. Comme le Parlement est dissous, Morsi a maintenant théoriquement plus de pouvoirs qu'avait Hosni Moubarak. Ça inquiète beaucoup de gens [dont Mohammed el Baradei, ancien président de l'Agence internationale de l'énergie atomique]. Les médias sont très enflammés en Égypte. Il faut que le gouvernement apprenne à composer avec la nouvelle liberté de presse, mais il est tentant de se contenter de remplacer les tabous de l'ère Moubarak par de nouveaux.

Q: L'offensive contre les ONG financées par l'Occident, commencée sous le gouvernement dominé par les militaires l'hiver dernier, va-t-elle continuer?

R: Les accusations sont toujours maintenues. Nous n'avons pas été directement affectés, parce que nous n'avons pas de bureaux en Égypte, mais certaines ONG avec qui nous faisons affaire ont fait l'objet d'une enquête. Des ONG islamistes également, d'ailleurs. Mais il n'y a pas eu d'accusations contre des ONG liées aux Frères musulmans. Comme les ONG ayant des liens avec l'Occident ont été critiques par rapport à certaines décisions des Frères musulmans, l'offensive contre ces ONG l'hiver dernier a pu les aider.

Q: Y a-t-il un lien avec l'attentat au Sinaï la semaine dernière, qui a fait 16 morts parmi les soldats?

R: L'attentat a certainement discrédité Tantaoui et Anan. Ça fait plusieurs fois que ce qui arrive au Sinaï affecte le pouvoir en Égypte. Anwar el Sadat avait été assassiné parce qu'il avait fait la paix en Israël pour récupérer le Sinaï.

Q: Les Frères musulmans peuvent-ils être derrière l'attentat au Sinaï?

R: Ça serait un trop gros risque pour les Frères musulmans. Si l'armée découvre qu'ils ont trempé dans l'attentat au Sinaï, toute l'entente pourrait tomber. Rien n'est impossible, cela dit.

Q: Quel impact ces changements auront-ils pour Israël et la minorité chrétienne copte?

R: Certains militaires qui ont été promus ont fait partie des négociations avec Israël. Tantaoui et Anan n'ont pas été très efficaces pour sécuriser la frontière avec Israël. Il se pourrait bien que les nouveaux leaders militaires veuillent mater les groupes armés du Sinaï avant que les relations avec Israël et la situation s'enveniment. Pour ce qui est des coptes, il aurait été souhaitable que Morsi nomme un vice-président chrétien, parce qu'ils sont nerveux pour leur sécurité. Morsi a promis de nommer plusieurs vice-présidents, dont un copte.