Pour beaucoup d'Égyptiens, choisir entre le militaire et le frère musulman représente une alternative peu réjouissante. Un «foloul» - membre de l'ancien régime - fossoyeur des idéaux de la révolution? Ou un islamiste hostile à un État laïc? Comme un tribunal a dissous jeudi le Parlement égyptien, le futur président pourra diriger le pays en dehors des règles démocratiques. Notre collaboratrice au Caire nous fait le portrait de la présidentielle, qui a lieu aujourd'hui et demain.

AHMED CHAFIQ

La réincarnation de Moubarak

1. Pourquoi pourrait-il gagner?

Comme les trois autres présidents qu'a connus l'Égypte (Nasser, Sadate et Moubarak), Ahmed Chafiq est un militaire. Général à la retraite et ancien ministre de l'aviation civile, il incarne pour beaucoup d'Égyptiens le retour à la stabilité. Entré à la dernière minute dans la campagne présidentielle, il a su séduire une large frange de l'électorat en insistant sur les difficultés économiques et la hausse de la criminalité en Égypte depuis le début de la révolution. Parce qu'il est pour beaucoup une façon d'éviter une présidence «Frères musulmans», Chafiq bénéficie du soutien d'une large partie du vote copte, mais aussi de groupes révolutionnaires qui préfèrent se tourner vers un pilier de l'ancien régime plutôt que de renoncer à un État laïc.

2. Que lui reproche t-on?

Ahmed Chafiq a été nommé premier ministre en catastrophe, quelques jours seulement après le début de la révolution de janvier 2011. Il reste ainsi fortement associé au régime de Moubarak et à la violence pratiquée par l'exécutif pendant les 18 jours du soulèvement, en particulier le jour de la «bataille des chameaux». S'il a essayé de s'en défendre en multipliant les déclarations de rupture avec l'ancien régime, l'impopularité de Chafiq chez les jeunes et les révolutionnaires reste son principal obstacle. Pour assurer sa campagne, Chafiq a d'ailleurs embauché d'anciens membres du Parti National Démocratique (PND), le parti de Moubarak, symbole de son régime défunt. À l'aube du deuxième tour du scrutin présidentiel, le plus haut tribunal du pays devait se pencher sur la validité de la candidature d'Ahmed Chafiq. Une loi adoptée en 2011 empêchait tout membre de l'ancien régime d'être candidat à la présidence. La cour a finalement déclaré la loi anticonstitutionnelle, laissant Chafiq libre de concourir à l'élection suprême.

3. S'il est élu, à quoi les Égyptiens peuvent s'attendre?

Malgré les promesses du candidat Chafiq de «ne pas revenir en arrière», sa victoire aux élections présidentielles marquerait un coup d'arrêt dans la transition démocratique égyptienne et engendrerait une sérieuse remise en cause des demandes formulées pendant la révolution. Les liens de proximité entre Chafiq et l'armée, et la récente dissolution du Parlement, semblent indiquer que sa victoire serait synonyme d'un contrôle de l'armée sur l'exécutif, le législatif et le judiciaire, en contradiction avec les principes de base de toute démocratie.

4. Quelle serait l'impact de sa victoire pour le reste du monde?

L'Égypte étant le pays symbole du monde arabe, l'élection de Chafiq marquerait pour tous les pays voisins, et notamment ceux, comme la Syrie, où le conflit est toujours en cours, la fin du temps des révolutions, et la victoire des forces de restauration. Son élection serait en revanche une bonne nouvelle pour les États-Unis et Israël, qui seraient garantis de voir le retour à l'ordre en Égypte.





Photo archives AP

Ahmed Chafiq

MOHAMMED MORSI

La «roue de secours» des Frères Musulmans

1. Pourquoi pourrait-il gagner?

Arrivé en tête du premier tour des élections présidentielles égyptiennes avec 25,3% des suffrages, Mohamed Morsi, le candidat des Frères Musulmans, peut tabler sur l'efficacité de la «machine frériste» lors de ce scrutin. Devant une offre électorale islamiste très compétitive au premier tour, la branche politique des Frères Musulmans avait en effet prouvé sa forte capacité à mobiliser ses militants. Dans une moindre mesure, le candidat islamiste peut également compter sur un vote rejet du candidat Chafik, perçu par les mouvements pro-révolutionnaires comme une incarnation du régime de Moubarak. Toutefois, la dissolution-surprise du Parlement par un haut tribunal égyptien à deux jours du scrutin représente un coup dur pour les Frères Musulmans, qui étaient majoritaires à l'assemblée depuis les élections législatives de janvier dernier.

2. Que lui reproche-t-on?

Parce qu'il a été propulsé à la dernière minute dans la course présidentielle, en remplacement de l'imposant Khairat el-Shater, cerveau et financier du parti, éliminé à cinq semaines du premier tour, Mohammed Morsi a été surnommé «la roue de secours» des Frères Musulmans et moqué pour son manque de charisme. Morsi suscite un sentiment de peur épidermique au sein de certains groupes laïcs, chrétiens ou libéraux, qui redoutent un scénario à l'iranienne en cas de victoire. Cette peur est nourrie par la propagande des médias d'État qui alimentent le débat politique de rumeurs. On a par exemple prêté à Morsi l'intention de vouloir vendre le Canal de Suez au Qatar, connu pour soutenir financièrement le parti. Enfin, l'inconsistance des Frères musulmans sur des questions clés de la phase de transition, comme leur promesse non tenue de ne pas présenter de candidat à la présidentielle, a créé un climat de méfiance relative à leur égard, même dans certains cercles proches d'eux.

3. S'il triomphe, à quoi les Égyptiens peuvent s'attendre?

En s'engageant à créer un gouvernement de coalition et à assurer la rédaction de la nouvelle constitution par un groupe témoin représentatif de la société égyptienne, Mohammed Morsi a tendu la main à la communauté chrétienne, qui représente près de 10% de la population égyptienne. Morsi a également promis, une fois élu, de protéger le droit de manifester et d'organiser des sit-in - une déclaration destinée à rassurer les révolutionnaires. Enfin, Morsi a assuré qu'il ne procéderait pas au jugement de responsables de l'ancien régime et de l'armée, ce qui garantit aux généraux chargé de l'exécutif depuis la destitution de Moubarak une transition en douceur.

4. Quels seraient les impacts de sa victoire pour le reste du monde?

La victoire de Morsi confirmerait la popularité du vote islamiste dans les élections libres organisées à l'issue de processus révolutionnaires dans les pays arabes, comme en Tunisie. Cette victoire pourrait inquiéter les Occidentaux, en particulier les États-Unis, qui sont en faveur de la consolidation d'États laïcs dans la région.

Photo Amr Nabil, AP

Mohammed Morsi