Premier satellite en orbite pour la Corée du Sud, sonde martienne pour l'Inde, exploration de la Lune pour la Chine : en 2013, les géants asiatiques se sont imposés dans le cercle très fermé des puissances spatiales.

«Je crois que la Chine a déclenché une course à l'espace majeure en Asie», résume Morris Jones, expert indépendant basé en Australie.

«Les Indiens surveillent très attentivement ce que les Chinois font. Et même les Sud-Coréens accélèrent le rythme», relève-t-il, soulignant que «beaucoup de gens s'en préoccupent également aux États-Unis».

Fusées, infrastructures satellitaires, capacité à envoyer des hommes dans l'espace, laboratoires et stations au sol : «la Chine dispose désormais de tous les éléments» nécessaires pour devenir le fer de lance de l'Asie dans le domaine spatial, estime M. Jones.

Après les États-Unis et l'URSS, la Chine est ainsi devenue samedi la troisième nation à réussir un alunissage en douceur avec sa sonde spatiale Chang'e 3, une première depuis 1976.

Et Pékin ne semble pas vouloir se contenter d'une simple place de partenaire dans les programmes spatiaux, mais cherche plutôt à devenir la nation de référence dans ce domaine en Asie. Et peut-être même au-delà.

«Si les Russes ne changent pas leur attitude moqueuse à l'égard de ce que fait la Chine dans l'espace, dans cinq à dix ans, la course se fera entre Pékin et Washington, sans la Russie», déclare à l'AFP Vadim Loukachevitch, expert russe du secteur spatial.

«Nous leur avons vendu certaines technologies spatiales, notamment concernant la fabrication des scaphandres. Mais ils les ont considérablement développées, et ils ne veulent plus se servir des technologies des autres ou les imiter», note-t-il.

«Les satellites chinois sont aujourd'hui plus performants que les nôtres, et c'est aux États-Unis que la Chine veut désormais faire concurrence, non pas à la Russie», juge M. Loukachevitch.

Et l'Inde dans tout ça?

«Les ambitions indiennes ne sont pas prises au sérieux» par Moscou. «Du point de vue technologique, l'Inde est aujourd'hui derrière la Russie», tranche M. Loukachevitch.

Si ses moyens restent modestes comparés à son voisin chinois ou aux puissances spatiales bien établies, l'Inde semble toutefois décidée à rester dans la course, avec près de 400 milliards de roupies (6,78 milliards de dollars) alloués à son programme spatial dans le plan quinquennal 2012-2017.

Certes, reconnaissent les experts du secteur, les pays d'Asie - y compris la Chine - ne vont pas détrôner la Nasa et les autres grands du secteur avant une ou deux décennies au moins. Mais ils pourraient rapidement les concurrencer sur le plan commercial.

Risque d'une «militarisation» de l'espace

«Le poids croissant des activités spatiales en Asie va probablement d'abord se faire sentir dans le domaine de l'exploitation spatiale», note John Logsdon, spécialiste américain du secteur spatial et consultant pour la Nasa.

«La Chine et l'Inde recherchent toutes deux des marchés pour leurs lanceurs et leurs satellites, et ils privilégient les applications spatiales pour leurs retombées économiques», juge-t-il.

Cette concurrence pourrait toutefois dépasser le simple cadre des activités civiles, scientifiques ou commerciales, soulignent de nombreux experts qui redoutent une «militarisation» de l'espace.

Dès 2007, Pékin a testé une arme anti-satellites, détruisant un de ses vieux engins en orbite à l'aide d'un intercepteur. D'après plusieurs sites internet spécialisés, la Chine aurait également testé en mai dernier un nouveau missile balistique capable de frapper dans l'espace.

Les États-Unis «sont très inquiets devant la montée en puissance de l'arsenal spatial chinois, qui pourrait menacer les systèmes de sécurité américains dans l'espace», indique M. Logsdon.

Moscou «a commencé à voir dans la Chine une menace potentielle (...) quant aux États-Unis, il semble que la Chine ait pris la place de l'URSS dans leurs schémas sécuritaires», renchérit Marco Aliberti, de l'Institut européen de politique spatiale à Vienne.

Même souci en Inde, dont les relations avec son voisin chinois sont traditionnellement tendues.

«Même si l'Inde a réaffirmé son opposition à la militarisation de l'espace, elle a dû prendre en compte les progrès de l'arsenal spatial dans son voisinage», estime Rajeswari Pillai Rajagopalan, de l'Observer Research Foundation (ORF), un institut de recherche indépendant basé en Inde.

«Par conséquent, l'Inde a lancé son premier satellite militaire en août 2013», pour le compte de la marine indienne, précise-t-elle.

Pour des raisons diplomatiques et surtout financières, puissances spatiales traditionnelles et émergentes ont toutefois intérêt à unir leurs efforts et à collaborer pour mener à bien d'ambitieux et coûteux programmes, comme l'établissement d'une colonie lunaire ou une mission habitée vers Mars.

«La coopération spatiale peut à terme jeter des ponts entre les différentes nations, promouvoir une entente mutuelle et cimenter la confiance», dit M. Aliberti.

En outre, «l'espace est un outil de politique étrangère puissant, qui pourrait par exemple être utilisé par les pays occidentaux et asiatiques pour résoudre ensemble des enjeux cruciaux, comme la protection de l'environnement ou le changement climatique, mais aussi des questions touchant à la sécurité mondiale», conclut l'expert.