Les djihadistes de l'ex-branche d'Al-Qaïda, qui dominent le bastion rebelle d'Idleb en Syrie, sont aujourd'hui de plus en plus isolés: des divisions sont apparues dans leurs rangs et les défections se sont multipliées, à l'approche d'une nouvelle offensive annoncée par la Turquie.

Le groupe Fateh al-Cham, connu par le passé sous le nom de Front al-Nosra, contrôle toujours l'immense majorité de la province d'Idleb, la seule dans le nord-ouest syrien à échapper au régime de Bachar al-Assad.

Autrefois affiliée à Al-Qaïda, cette organisation domine la coalition Tahrir al-Cham, classée «terroriste» par plusieurs pays occidentaux et qui réunissait depuis début 2017 divers groupes armés islamistes et jihadistes.

«Les gens adoraient autrefois Al-Nosra, mais aujourd'hui ils attendent l'arrivée de l'armée turque pour en finir», lâche un militant d'Idleb, s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé samedi que des rebelles syriens soutenus par Ankara allaient mener une nouvelle offensive à Idleb.

L'objectif: déloger Tahrir al-Cham de cette province frontalière de la Turquie, a confirmé un commandant rebelle syrien qui participe à l'opération.

Dimanche, les forces turques et des combattants de Tahrir al-Cham ont échangé des tirs à la frontière, mais l'incident ne semblait pas pour le moment marquer le début de l'opération annoncée par M. Erdogan.

La province d'Idleb représente l'une des quatre zones de désescalade dévoilées en mai par les parrains internationaux des belligérants, pour instaurer des trêves durables dans plusieurs régions de Syrie.

Ces cessez-le-feu, négociés par la Russie et l'Iran - alliés du régime - et la Turquie - soutien des rebelles - excluent les groupes jihadistes, notamment Tahrir al-Cham.

«Isoler le groupe»

L'offensive turque intervient alors que Tahrir al-Cham, qui compte quelque 10 000 combattants selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), se trouve déjà en posture délicate.

Le sort de son chef Mohammad al-Jolani demeure incertain, la Russie ayant affirmé mercredi l'avoir grièvement blessé ce que le groupe a nié.

Et, ces derniers mois, les défections se sont multipliées, Fateh al-Cham étant notamment accusé de s'être accaparé le pouvoir.

«L'union des groupes rebelles sous le nom de Tahrir al-Cham n'était qu'une façade. La direction et la prise de décision restaient aux mains de (l'ex) Al-Nosra», estime Ahmad Abazeid, du Centre Toran, basé en Turquie.

«Une intervention de la Turquie était envisagée depuis longtemps», poursuit l'expert, qui précise qu'Ankara souhaitait encourager les défections «pour isoler le groupe rattaché à Jolani».

Tout a commencé en juillet quand Tahrir al-Cham a attaqué les positions de l'organisation salafiste Ahrar al-Cham, un de ses alliés les plus puissants qui est sorti laminé de l'affrontement.

Cette attaque a poussé des factions islamistes à abandonner la coalition, à l'instar du groupe Nourredine al-Zinki, qui compte des milliers de combattants.

Puis, fin septembre, ce fut au tour de Jaïch al-Ahrar, considérée comme la force «d'élite» de la coalition, de partir.

Difficile de ne pas lier ces défections à «l'approche d'une intervention turque à Idleb», estime Sam Heller, du centre de réflexion Century Foundation.

«Être lié de quelque manière que ce soit à des groupes comme Tahrir al-Cham est un choix de plus en plus risqué», confirme Charles Lister, expert de la Syrie au Middle East Institute.

Le conflit syrien est entré dans «une nouvelle phase», explique-t-il, les djihadistes étant désormais perçus par les rebelles comme un allié toxique.

«Jusqu'à la mort»

Depuis plusieurs semaines, Idleb est la cible de raids aériens du régime syrien et de Moscou qui ont tué des dizaines de civils.

L'annonce d'une offensive turque va rendre les choses encore plus difficiles pour Tahri al-Cham.

«Tahrir al-Cham et son commandement ont clairement indiqué qu'ils allaient lutter jusqu'à la mort contre toute intervention extérieure», rappelle M. Lister.

Avec les difficultés croissantes auxquelles les djihadistes sont confrontés, «des divisions internes» sont apparues, estime M. Abazeid.

Ces dissensions opposent «le courant représentant Al-Qaïda à une autre sensibilité qui veut établir un dialogue avec la Turquie et d'autres pays et ne plus être classé organisation» terroriste, selon l'expert.

Les partisans d'Al-Qaïda veulent «affronter la Turquie et éliminer les groupes rebelles encore présents» dans la province «car ils considèrent que la modération ne donne pas de résultats».

Samedi, Tahrir al-Cham a prévenu «les traîtres parmi les factions» qu'Idleb «ne serait pas une partie de plaisir».