Les combats ont été durs, mais ce n'est rien à côté de ce qui s'annonce. Ces derniers jours, les peshmergas kurdes ont repris une douzaine de villages irakiens occupés par le groupe armé État islamique, avec l'aide des forces spéciales canadiennes. Autour de Mossoul, le front s'organise, dans l'attente de l'assaut final.

Dimanche, au petit matin, des centaines de peshmergas ont fondu sur le village irakien d'Abzakh, à peine réveillé - et encore secoué - par de lourdes frappes américaines.

L'effet de surprise n'a pas duré longtemps. Les militants du groupe État islamique (EI), maîtres du village, ont opposé une vive résistance à leurs assaillants kurdes, ripostant à leurs attaques à coups de balles et de tirs de mortiers.

« La bataille a été dure », rapporte la photographe américaine Andrea DiCenzo, qui a accompagné les combattants kurdes sur le champ de bataille. « Il a fallu trois heures de combats pour faire sortir [les militants de l'EI]. De nombreux peshmergas ont été tués ou blessés. »

Au bout de deux jours et de bien d'autres sacrifices, les forces kurdes avaient repris une douzaine de villages à l'EI au nord de Mossoul, fief des militants islamistes en Irak. Avec l'aide du Canada, les peshmergas avaient réussi à consolider le front avant l'assaut final sur la deuxième ville en importance du pays, occupée par l'EI depuis le 10 juin 2014.

Andrea DiCenzo n'a pas vu de soldats canadiens sur le champ de bataille. Elle en a croisé plus tard, devant l'hôpital où convergeaient les peshmergas blessés. « Ils avaient l'air de militaires habillés en civil. Ils nous ont chassés rapidement... »

UN RÔLE MAJEUR

Les forces spéciales canadiennes sont réputées pour travailler dans l'ombre. Mais selon le réseau CTV, elles auraient joué un rôle majeur dans l'offensive des peshmergas au nord de Mossoul. 

Elles auraient aidé les forces kurdes à planifier l'opération et auraient supervisé la bataille. Les soldats d'élite auraient été assez proches de leurs alliés kurdes pour les conseiller pendant la bataille.

Sans entrer dans le détail de l'opération, le porte-parole de la Défense nationale, Daniel Le Bouthillier, confirme que « des membres du personnel des Forces armées canadiennes aident les Forces de sécurité kurdes à planifier et à coordonner les ressources de la coalition ».

Le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a lui-même déclaré le 20 juillet que l'aide canadienne « a joué un rôle clé dans la préparation de la bataille de Mossoul ».

Une bataille qui semble plus proche que jamais. Les signes annonçant l'imminence de l'assaut se multiplient. 

Le mois dernier, le Pentagone a envoyé 560 marines supplémentaires au front irakien. Plusieurs leaders de l'EI se sont repliés en Syrie. Le président Barack Obama a déclaré le 4 août que la destruction de l'EI était désormais inévitable. Son émissaire spécial pour la lutte contre l'EI, Brett McGurk, a ajouté la semaine dernière que la préparation pour l'offensive de Mossoul « approchait de sa phase finale ».

Pour Thomas Juneau, spécialiste des conflits au Moyen-Orient et professeur à l'Université d'Ottawa, la bataille de Mossoul est déjà commencée. « Il y aura de plus en plus d'infiltrations, d'opérations d'information dans la ville pour encourager les civils à en sortir et pour intimider les forces de l'EI. Tout cela se fait par étapes. »

PRÉPARER L'APRÈS-EI

Les forces de la coalition devront toutefois faire preuve de patience si elles veulent éviter de remporter une victoire à la Pyrrhus, prévient M. Juneau. Il s'agit de ne pas répéter les erreurs commises en 2003, quand le gouvernement américain de George W. Bush avait provoqué la chute de Saddam Hussein sans prévoir la suite des choses.

L'Irak avait rapidement sombré dans le chaos.

« Faire tomber l'EI militairement, c'est faisable. La vraie question, c'est qu'est-ce qui arrive après ? L'EI n'est qu'un symptôme des problèmes en Irak. Et l'une des causes, c'est l'insatisfaction profonde des sunnites », explique M. Juneau.

« Si les autorités irakiennes ne sont pas prêtes à reconstruire Mossoul après sa chute, à avoir au moins une réconciliation partielle entre les sunnites et les chiites, elles n'auront rien réglé », dit le professeur Thomas Juneau.

À court terme, l'ONU craint que la bataille de Mossoul ne provoque une grave crise humanitaire. Près de 100 000 civils ont déjà fui la ville en état de siège, selon le Haut-Commissariat des Nations unies. Ils sont au moins 10 fois plus nombreux à y rester coincés. Un combat quartier par quartier visant à déloger les militants islamistes qui y sont terrés risque de faire des milliers de morts.

À long terme, le bilan risque d'être encore plus lourd.

Pour l'ancien général américain David Petraeus, qui a dirigé les forces de la coalition en Irak en 2007-2008, la défaite prochaine de l'EI à Mossoul ne fait aucun doute. Dans le Washington Post, celui qui s'est embourbé dans le bourbier post-Saddam Hussein a cependant estimé qu'il était tout aussi crucial de réconcilier un Irak plus fracturé que jamais. « Échouer à le faire pourrait mener à l'EI 3.0 », a-t-il prévenu.