La Turquie, mettant en application ses menaces, a bombardé des secteurs du nord de la Syrie contrôlés par les forces kurdes, des frappes qui devraient encore un peu plus compliquer la donne en vue d'un dénouement de la crise.

Le département d'État américain a aussitôt réagi, exhortant la Turquie à «cesser ces tirs».

À Munich, où il participe à la conférence sur la sécurité, le secrétaire d'État américain John Kerry avait auparavant averti que le dossier syrien se trouvait à un «moment charnière» entre guerre et paix, quelques jours après que Washington et Moscou sont tombés d'accord sur une prochaine «cessation des hostilités».

L'agence de presse officielle Anatolie a rapporté samedi soir que l'armée turque avait frappé des cibles du Parti kurde de l'union démocratique (PYD) et du régime syrien.

Les forces armées turques ont frappé des cibles du PYD près de la ville d'Azaz, dans la province d'Alep, selon une source militaire citée par Anatolie. L'armée turque a également riposté à des tirs de forces du régime syrien sur un poste militaire dans la région de Hatay (sud de la Turquie), selon la même source.

«Nous avons pressé les Kurdes syriens et d'autres forces affiliées aux YPG (les Unités de protection du peuple kurde liées au PYD, ndlr) de ne pas profiter de la confusion en s'emparant de nouveaux territoires. Nous avons aussi vu des informations concernant des tirs d'artillerie depuis le côté turc de la frontière et avons exhorté la Turquie à cesser ces tirs», a déclaré dans la soirée le porte-parole du département d'État, John Kirby, qui se trouvait à Munich.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), l'artillerie turque a bombardé des secteurs du nord de la province d'Alep que les Unités de protection du peuple kurde (YPG), la principale force kurde en Syrie ont récemment repris à des rebelles islamistes.

Une source au sein des YPG a indiqué à l'AFP que les bombardements avaient notamment visé l'aéroport militaire de Minnigh, repris le 10 février par les forces kurdes.

Situé à une dizaine de km de la frontière turque, l'aérodrome de Minnigh se trouve entre deux routes importantes qui mènent de la ville d'Alep, deuxième ville du pays, à Azaz, plus au nord.

Et le fait de le contrôler donne aux forces kurdes une base de départ pour de nouvelles offensives contre le groupe djihadiste État islamique (EI).

C'est à quelques km plus au sud de cette zone que le régime syrien, fort du soutien de l'aviation russe, mène une offensive d'envergure contre les rebelles.

Cette offensive, lancée le 1er février, a provoqué l'exode de dizaines de milliers de personnes qui restent notamment bloquées au nord d'Azaz, tout près de la frontière turque, espérant que les autorités turques les laissent entrer.

Au nord d'Alep, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde soutenue par les États-Unis, ont lancé samedi une offensive sur Tall Rifaat, aux mains d'autres rebelles, a rapporté l'OSDH, précisant que l'aviation russe avait mené samedi au moins 20 frappes sur cette ville.

Opération terrestre ?

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu avait menacé plus tôt samedi de lancer une opération militaire contre le PYD, la branche politique des YPG.

La Turquie considère le PYD et les YPG comme des branches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé mercredi le soutien militaire des États-Unis à ses ennemis kurdes de Syrie.

Les Turcs redoutent qu'un soutien étranger permette aux Kurdes syriens, qui occupent déjà une grande partie du nord de la Syrie, d'étendre encore leur influence et de contrôler ainsi la quasi-totalité de la zone frontalière avec la Turquie.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a par ailleurs indiqué samedi que son pays et l'Arabie saoudite pourraient mener une opération terrestre contre l'EI en Syrie.

Selon lui, l'Arabie saoudite, devenue ces derniers mois l'un des plus proches alliés de la Turquie, va déployer des avions de chasse sur la base militaire stratégique d'Incirlik, dans le sud de la Turquie, où se trouvent déjà des avions de la coalition antidjihadistes conduite par les Américains.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, avait annoncé cette semaine que le royaume était prêt à dépêcher des troupes au sol en Syrie dans le cadre de la coalition antidjihadistes.

«Guerre froide»

L'Arabie saoudite et la Turquie estiment que le départ du président syrien Bachar Al-Assad est indispensable pour une solution en Syrie, où la guerre a fait plus de 260 000 morts en près de cinq ans et jeté sur les routes plus de la moitié de la population.

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev a mis en garde samedi contre toute intervention au sol des pays de la coalition lors d'un discours à la conférence de Munich, au cours duquel il a affirmé que le monde était entré dans une «nouvelle guerre froide».

Les États-Unis accusent de leur côté la Russie d'avoir «exacerbé» le conflit par son appui militaire aux forces gouvernementales, notamment dans l'offensive contre les rebelles dans la région d'Alep.