On sait qu'il sort des laboratoires clandestins de Syrie à coups de dizaines de millions de pilules. Des indices montrent qu'il est prisé des combattants du Moyen-Orient. Et il serait devenu une importante source de revenus pour le groupe armé État islamique. Le captagon, une drogue susceptible d'aider les terroristes à commettre des atrocités, a encore été évoqué au lendemain des attentats de Paris. Coup d'oeil sur une substance pratiquement inconnue chez nous, mais qui attire de plus en plus l'attention.

Tuer le sourire aux lèvres

Les tueurs du Bataclan étaient-ils drogués lorsqu'ils ont perpétré leur massacre, vendredi dernier? L'hypothèse a été avancée hier par la publication française Sciences et Avenir, qui cite des témoins selon lesquels les terroristes affichaient un comportement «mécanique et déshumanisé». Les soupçons de Sciences et Avenir se tournent vers le captagon, une drogue pratiquement inconnue ici, mais qui est en plein boom au Moyen-Orient. Lors des attentats de juin dernier à Sousse, en Tunisie, le fait que le tueur ait abattu ses 38 victimes en riant avait aussi amené certains observateurs à évoquer l'idée qu'il aurait pu être sous l'effet du captagon.

Un puissant stimulant

Le captagon est un stimulant de la famille des amphétamines, dont font aussi partie l'ecstasy et la métamphétamine (souvent consommée sous la forme de crystal meth). La molécule active, appelée fénéthylline, a été élaborée dans les années 60 contre l'hyperactivité et la narcolepsie. Le médicament a cependant rapidement été déclaré illégal. Le captagon stimule la sécrétion de dopamine et de noradrénaline. «Il coupe la faim, coupe la fatigue, crée l'euphorie et amène un sentiment de puissance», explique Jean-Sébastien Fallu, professeur agrégé à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal.

En 2014, l'agence Reuters a interrogé un officier syrien qui décrivait ainsi les effets de la drogue sur ses opposants.

«Nous les battons, ils ne ressentent pas la douleur. Plusieurs d'entre eux rient alors qu'on les frappe lourdement.»

Des effets imprévisibles

Jean-Sébastien Fallu, l'un des rares experts au Québec à connaître le captagon, souligne que la drogue peut avoir des effets imprévisibles chez des individus qui souffriraient de problèmes mentaux ou se trouveraient dans un état de colère.

«Il est difficile de départager ce qui est dû à la substance et ce qui est dû à la personnalité, mais c'est sûr que ça peut accentuer certains traits, dit-il. Les effets les plus spectaculaires du crystal meth, par exemple, ne se manifestent pas chez tout le monde.»

Il souligne qu'il est probable que le captagon réduise la peur, ce qui pourrait aider, par exemple, des terroristes à passer à l'acte.

Concentré au Moyen-Orient

Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le captagon est pratiquement introuvable hors du Moyen-Orient, mais est en plein essor dans la région. Entre 2012 et 2013, les saisies mondiales de captagon sont passées de 4 à 11,3 tonnes, selon l'Organisation mondiale des douanes. Chez nous, ni l'Institut national de santé publique ni le centre de recherche du CHUM n'ont dit l'avoir sur leur radar.

Les rares informations qui circulent proviennent souvent de reportages médiatiques. Dans un documentaire intitulé Captagon: Breaking Bad au Moyen-Orient, le journaliste français Julien Fouchet montre que cette drogue se répand dans les camps de réfugiés en Jordanie, où les Syriens la consomment pour oublier leurs problèmes.

«Je me sens tellement fort que je pourrais égorger n'importe qui», lance un jeune Syrien sous l'emprise de la drogue devant la caméra.

La Syrie, plaque tournante

Entre 2005 et 2011, les quantités de captagon saisies en Syrie ont explosé, passant de 3,2 à 22,7 millions de comprimés, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. La guerre civile empêche les chiffres d'être mis à jour, mais Reuters estime que la Syrie a aujourd'hui détrôné le Liban comme plaque tournante mondiale du captagon. Les laboratoires clandestins y pulluleraient, et les comprimés sont notamment acheminés en Jordanie, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Les soldats de l'armée syrienne disent souvent trouver des comprimés de captagon avec des armes lorsqu'ils capturent leurs ennemis. Les différents groupes qui se battent en Syrie s'accusent en fait mutuellement de droguer leurs combattants au captagon.

Une vache à lait pour l'EI

Simple à fabriquer, extrêmement lucratif, le captagon serait devenu une véritable vache à lait pour le groupe armé État islamique. Selon des experts jordaniens cités par le journaliste français Julien Fouchet, le trafic de captagon aurait même pu devenir plus payant que celui du pétrole pour l'organisation terroriste. L'Organisation mondiale des douanes écrit aussi que le trafic de captagon «sert de carburant aux efforts de guerre».