Qu'il soit ou non responsable de la mort de plus de 200 touristes russes dans l'écrasement de leur avion, le groupe armé État islamique (EI) a instillé le doute et porté un nouveau coup à l'Égypte, qui souffre d'une désaffection des touristes.

La branche égyptienne de l'EI a affirmé quelques heures après l'écrasement qu'elle avait «fait tomber l'avion», sans plus de détails, en représailles aux bombardements russes en Syrie.

Depuis, ni Le Caire ni Moscou n'ont démenti - le Kremlin assurant qu'«aucune piste» n'était exclue - et la compagnie russe Metrojet a affirmé que l'écrasement de son appareil ne pouvait être que la conséquence d'une «action extérieure». Des experts estiment en outre l'hypothèse d'une bombe à bord tout à fait plausible.

L'extrême dispersion des débris et des corps dans le désert du Sinaï, bastion de la branche égyptienne de l'EI, laisse une seule certitude aux spécialistes: l'avion s'est complètement disloqué en l'air, il n'est pas tombé d'un seul morceau comme dans l'immense majorité des écrasements accidentels ou volontaires.

L'avion a décollé samedi à l'aube de Charm-el Cheikh, dans le sud de la péninsule du Sinaï,  avec 224 personnes à bord à destination de Saint-Pétersbourg. Après une vingtaine de minutes de vol, il a soudainement disparu des écrans radars au-dessus du Sinaï, sans un mot du pilote selon Le Caire, ce qui fait dire à Metrojet et aux experts que l'appareil a dû subir un choc extrêmement soudain, quel qu'il soit, et que l'équipage en a instantanément perdu le contrôle.

Tout le monde excluant qu'il ait pu être atteint à près de 10 000 m d'altitude par un missile tiré depuis l'épaule d'un combattant, du type de ceux dont dispose l'EI dans le Sinaï, restent deux hypothèses: un problème technique qui provoque une explosion et une dislocation immédiate de l'appareil ne laissant pas le temps au pilote de communiquer - cas rarissime selon les experts -, ou une bombe, apportée dans l'appareil par un occupant ou placée par un membre du personnel au sol.

«Victoire temporaire»

En attendant les résultats de l'enquête, trois compagnies de premier plan - Air France, Lufthansa et Emirates - ont décidé de ne plus survoler le Sinaï.

Des touristes, qui se détendent par millions chaque année dans les stations balnéaires égyptiennes de la mer Rouge, risquent maintenant de déserter un peu plus le pays des pharaons, alors que ce secteur a déjà considérablement souffert depuis la révolte populaire de 2011 et les années de violences qui ont suivi.

«La revendication de l'EI est crédible parce que sa branche en Égypte n'a jamais menti sur ses actions», assène Mathieu Guidère, expert français du terrorisme et auteur de «Terreur, la nouvelle ère», résumant les commentaires de nombre de ses collègues.

Qu'il ait ou non commis un attentat, «en terme de perception, c'est à n'en pas douter une victoire temporaire pour l'EI, ne serait-ce que parce qu'ils ont réussi à être le sujet principal des conversations pour un moment», estime HA Hellyer, spécialiste des Affaires arabes au Royal United Services Institute à Londres.

«Ce qu'ils ont réussi à faire, c'est façonner le scénario de ce qui est arrivé à cet avion», renchérit le professeur Fawaz Gerges spécialiste du Moyen-Orient à la London School of Economics à Londres.

«C'est tout ce qui importe à l'EI: montrer sa capacité à frapper, son infaillibilité quand il faut montrer à sa base qu'il a le pouvoir de se venger de ses ennemis, en particulier la Russie», ajoute M. Gerges. «C'est aussi comme cela que l'EI peut avoir un impact direct sur l'industrie du tourisme».

À Moscou, le vice-président de l'Union des Tour opérateurs (voyagistes) russes se veut rassurant. «Si l'attaque terroriste est confirmée, cela va bien sûr faire monter l'inquiétude, mais si des mesures de sécurité sont prises et annoncées partout, il n'y aura pas de chute dramatique de la fréquentation» des plages égyptiennes, selon Youri Barzykine.