Au nom de la «légitime défense», la France a mené ses premières frappes dimanche contre le groupe Etat islamique (EI) en Syrie, à la veille de l'annonce d'un plan russe pour une coalition élargie contre les jihadistes.

Ces frappes ont visé un camp de jihadistes près de Deir Ezzor (est), qui «a été en totalité détruit», a affirmé le président François Hollande. «Nos forces ont atteint leurs objectifs», a déclaré M. Hollande, qui s'exprimait au cours d'une conférence de presse à New York.

Six avions ont été utilisés, et il n'y a pas eu de pertes civiles au cours de ce raid mené grâce aux renseignements recueillis ces deux dernières semaines lors des vols de reconnaissance français, ainsi que grâce à des «informations fournies par la coalition», a-t-il expliqué.

«D'autres frappes pourront avoir lieu si nécessaire», a ajouté le chef de l'État, soulignant que la France avait agi en «légitime défense», pour «protéger» son territoire.

Jusqu'alors, La France s'était interdit d'intervenir militairement en Syrie, craignant que cela ne serve les intérêts du président syrien Bachar al-Assad, dont Paris, qui juge qu'il est le principal responsable de la guerre, demande le départ.

L'aviation française avait commencé ses vols de reconnaissance le 8 septembre au-dessus de la Syrie. Depuis un an, elle mène une campagne de bombardements sur l'Irak voisin (opération Chamal, avec près de 215 frappes et 344 objectifs détruits selon l'état-major), au côté de la coalition internationale menée par les États-Unis.

Selon Paris, qui a exclu toute intervention terrestre, les frappes en Syrie ont pour objectif principal de prévenir des actes terroristes en Europe. Elles viseront, de façon ciblée, des centres de commandements, des camps d'entraînement et la logistique du groupe jihadiste. Des experts expriment néanmoins leur scepticisme quant à leur efficacité, y voyant surtout un message politique à l'attention de l'opinion française, et un moyen de se replacer dans le jeu politico-diplomatique.

Ces frappes interviennent à la veille de la 70e Assemblée générale de l'ONU à New York, à laquelle participera le président Hollande, déjà sur place, et qui s'annonce comme un grand ballet diplomatique autour de la crise syrienne.

Montée en puissance russe

Au cours de cette réunion, le président russe Vladimir Poutine, meilleur allié du régime syrien de Bachar al-Assad, devrait proposer une coalition élargie, comprenant l'armée du régime, pour combattre l'État islamique.

Ce plan russe suscite de nombreuses interrogations. Mais après plus de quatre ans d'un conflit meurtrier qui a fait près de 240 000 morts, et provoqué un exode de 8 millions de réfugiés et déplacés, l'impasse est totale sur le terrain.

En Irak comme en Syrie, les frappes menées par les États-Unis et leurs alliés de la coalition (près de 7000 bombardements selon le commandement américain) sont loin d'avoir donné les résultats escomptés.

En Syrie, si l'EI a été contenu en zone kurde, le long de la frontière turque, les jihadistes se sont emparés de Palmyre en mai et ont progressé récemment dans la région d'Alep. Les volontaires du jihad mondial continuent d'affluer par milliers, et menacent de mener des attentats à leur retour dans leur pays d'origine.

Alors que le camp occidental s'est surtout illustré par sa passivité et ses tergiversations, un modeste plan américain de soutien et d'entrainement à une poignée de rebelles modérés est sur le point de tourner au fiasco.

Soutenue par la Turquie, l'Arabie Saoudite et le Qatar, une coalition de groupes rebelles islamistes a marqué des points, notamment dans la province d'Idleb (nord-ouest), mais elle a pour objectif principal la chute de Bachar, et non la lutte contre l'EI, et collabore avec le Front al-Nusra, franchise locale d'al-Qaïda, et acteur incontournable sur le champ de bataille.

En face, le régime de Bachar al-Assad montre de très nets signes d'épuisement, avec une armée à bout de souffle qui bénéficie plus que jamais du soutien de l'Iran comme de la Russie.

La donne a changé ces dernières semaines, avec une spectaculaire montée en puissance de la Russie qui a dépêché d'importants renforts militaires - notamment aériens - dans la région de Lattaquié (ouest), bastion du régime sur les côtes de la Méditerranée.

Embouteillage dans le ciel syrien

Selon Washington, les Russes ont même mené des vols de reconnaissance au-dessus du pays, mais n'ont pas encore procédé à des frappes.

Dans ce contexte, l'Irak a annoncé dimanche un accord avec la Russie, la Syrie et l'Iran pour renforcer sa coordination du renseignement dans la lutte contre l'EI.

L'activisme militaire russe suscite aujourd'hui l'inquiétude des États-Unis. Dans un entretien à la chaine CBS, Vladimir Poutine a expliqué dimanche vouloir mettre en place un «cadre de coordination» élargie, avec les pays de la région, pour combattre l'EI. À ce jour, ce plan apparait surtout comme un moyen pour Poutine de remettre en selle son allié Bachar al-Assad.

Dimanche à New York, le président Hollande a réaffirmé que «l'avenir de la Syrie ne peut pas passer par Bachar al-Assad». Mais la France «discute avec tous et n'écarte personne» dans la recherche d'une solution politique, a-t-il ajouté, alors que beaucoup voient dans les bombardements français en Syrie un réalignement, voire un net infléchissement de la position française en faveur du régime de Damas.