Les premiers éléments de l'enquête indiquent que l'attentat-suicide qui a fait au moins 30 morts lundi dans la ville turque de Suruç, près de la frontière syrienne, a été commis par le groupe armé État islamique (EI), a affirmé le premier ministre turc Ahmet Davutoglu.

«Les premiers éléments montrent que l'explosion est un attentat-suicide et qu'il a été perpétré par DAESH (l'acronyme arabe du groupe EI)», a déclaré M. Davutoglu lors d'une conférence de presse à Ankara.

«Mais nous n'en sommes pas encore à l'heure des jugements définitifs», a ajouté le chef du gouvernement islamo-conservateur turc.

M. Davutoglu a ajouté que l'auteur de l'attaque-suicide n'avait «pas encore» été identifié mais que l'information serait rendue publique «dès qu'elle serait disponible».

Plusieurs médias turcs ont évoqué la piste d'une «kamikaze» femme, âgée d'une vingtaine d'années à peine.

Le premier ministre a enfin indiqué que le déploiement de renforts militaires à la frontière entre son pays et la Syrie, qui a débuté il y a plusieurs semaines, allait «continuer».

Cette attaque est la première survenue sur le sol turc depuis l'émergence du mouvement radical, qui contrôle depuis plus d'un an d'importantes portions des territoires irakien et syrien, notamment près de la Turquie.

«Je maudis et condamne les auteurs de cette violence au nom de mon peuple», a réagi le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan lors d'une courte déclaration en marge d'une visite dans la partie nord de l'île de Chypre.

L'explosion, très forte, s'est produite à la mi-journée dans le jardin d'un centre culturel de Suruç (sud) et visait un groupe d'environ 300 jeunes militants de gauche et prokurdes, pour la plupart des étudiants.

Selon un membre du principal parti prokurde de Turquie, Alp Altinors, interrogé par l'AFP, ces jeunes souhaitaient participer à la reconstruction de la ville de Kobané, de l'autre côté de la frontière, détruite lors de la violente bataille qui y a opposé le groupe EI et les milices kurdes de Syrie de septembre à janvier derniers.

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L'explosion, très forte, s'est produite à la mi-journée dans le jardin d'un centre culturel de Suruç

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La Fédération des Associations des jeunes socialistes a diffusé cette photo sur Twitter peu avant l'attentat. 

L'attaque a fait au moins 30 morts et près d'une centaine de blessés, selon le bilan provisoire communiqué à l'AFP par un responsable turc. De son côté, le gouverneur du district de Suruç Abdullah Ciftçi a précisé aux médias turcs qu'une vingtaine de blessés étaient hospitalisés dans un état qualifié de «critique».

«La ville est plongée dans le chaos. Presque tous les commerces de la ville ont été fermés», a raconté au téléphone à l'AFP un habitant de la ville, Mehmet Celik.

Peu de temps après l'explosion, les autorités turques ont pointé du doigt la responsabilité du groupe État islamique (EI).

«L'explosion a été provoquée par un attentat-suicide», a indiqué sous couvert de l'anonymat à l'AFP un responsable turc, «les autorités turques ont de fortes raisons de croire que cette attaque terroriste a été perpétrée par l'EI».

Peu après cette première explosion, une autre attaque à la voiture piégée a visé un barrage de sécurité établi par les milices kurdes dans le sud de Kobané, de l'autre côté de la frontière, a rapporté l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

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Renforts militaires

«Deux combattants kurdes ont été tués par l'explosion», a déclaré à l'AFP Rami Abdel Rahman, le directeur de cette ONG.

Cette attaque quasi-simultanée côté syrien «renforce nos suspicions» envers le groupe État islamique, a indiqué à l'AFP le responsable turc.

L'attentat-suicide intervient quelques semaines après le renforcement par les autorités turques de leur dispositif militaire à la frontière syrienne, au lendemain de la victoire remportée par les milices kurdes de Syrie face aux combattants djihadistes dans la bataille pour le contrôle d'une autre ville frontalière syrienne, Tall Abyad.

Selon les analystes, ce déploiement de force visait à la fois à contrer le groupe EI, mais aussi à bloquer l'avancée dans le nord de la Syrie des forces kurdes, proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène depuis 1984 une rébellion contre Ankara.

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu avait toutefois écarté toute intervention imminente et «unilatérale» de ses troupes.

Les pays occidentaux reprochent régulièrement au gouvernement d'Ankara sa neutralité, voire sa complaisance, vis-à-vis des organisations radicales en guerre contre le régime du président syrien Bachar al-Assad, dont l'EI.

La Turquie a toujours démenti ces allégations, mais elle a jusque-là refusé de prendre part à la coalition militaire antidjihadiste dirigée par les États-Unis.

Sous le feu des critiques de ses alliés, elle a toutefois depuis un an resserré ses contrôles pour empêcher le transit par son sol des recrues étrangères de l'EI en route vers la Syrie et mené ces dernières semaines des opérations de police contre ces filières.

Proche de M. Erdogan, le président russe Vladimir Poutine a dénoncé «un acte barbare» et appelé la communauté internationale à une «coordination active» contre le «terrorisme».

La ville de Suruç accueille des milliers de réfugiés kurdes de Syrie qui ont quitté la région de Kobané lors de l'offensive lancée par les combattants de l'EI en septembre dernier.

Cette attaque et les violents combats qui ont suivi pendant quatre mois ont provoqué l'exode de quelque 200 000 personnes vers la Turquie voisine. Selon les autorités locales turques, seuls environ 35 000 Syriens ont regagné depuis leur pays.

Fin juin, le groupe EI a mené trois attentats-suicides à Kobané. Les combats qui ont suivi ont entraîné la mort de plus de 200 civils. Les milices kurdes ont depuis repris le contrôle total de la ville.

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