Le groupe djihadiste État islamique (EI) a remporté récemment quelques succès spectaculaires en Syrie et en Irak, en dépit des frappes de la coalition conduite par les États-Unis.

Q: Quelles sont les récentes avancées de l'EI?

R: Après Raqqa en Syrie et Mossoul en Irak, les djihadistes de l'EI se sont emparés dimanche d'une troisième capitale provinciale, Ramadi, chef-lieu de la province sunnite d'Anbar en Irak.

Il s'agit de leur plus grande victoire depuis le début de leur offensive en Irak l'été dernier et d'un coup dur pour le gouvernement irakien qui annonçait avec éclat il y a un mois avoir repris Tikrit aux djihadistes.

En Syrie, l'EI a aussi progressé à la lisière de la ville antique de Palmyre, qui abrite de magnifiques ruines gréco-romaines et une terrible prison. Cette oasis représente un important verrou vers Homs et Damas.

En outre, dans la province centrale de Homs, il a pris le contrôle de deux importants champs gaziers, Arak et al-Hél, qui alimentent les centrales électriques du pays. Pour remplir ses coffres, l'EI a prouvé qu'il était capable d'exploiter les ressources pétrolières et gazières en Syrie comme en Irak.

Jessica Lewis, de l'Institut américain pour l'étude de la guerre (IEG), assure que les deux offensives sont liées pour permettre à l'EI de consolider son territoire dans l'est de la Syrie et l'ouest de l'Irak, sur lequel il a proclamé un «califat» islamique.

Q: Que fait la coalition menée par les États-Unis?

R: Dans les plus de 3000 raids menés en Irak et en Syrie depuis la fin de l'été 2014, les avions de la coalition ont ciblé l'équipement militaire de l'EI, les champs pétroliers et les raffineries utilisés par cette organisation et frappé ses combattants sur le terrain.

Ces raids ont été parfois des succès en empêchant par exemple l'EI d'avancer vers Erbil, la capitale du Kurdistan irakien.

Ils ont aussi permis de repousser en Syrie l'EI qui encerclait la ville kurde de Kobané et d'aider les forces gouvernementales irakiennes à reprendre Tikrit, berceau de l'ex-dictateur Saddam Hussein.

Q: Pourquoi l'EI avance-t-il encore?

R: Les analystes notent que les victoires de la coalition ne sont possibles que lorsque les raids sont menés en parallèle au déploiement de forces alliées au sol.

«C'est un truisme en matière de contre-insurrection que le succès nécessite des bottes sur le terrain», affirme Max Abrahms, professeur de Sciences politiques à l'Université Northeastern.

À Kobané, la coalition a ainsi agi en coordination avec les combattants kurdes tandis qu'elle venait renforcer à Tikrit l'armée irakienne et les groupes paramilitaires.

À Ramadi, la dynamique est différente, car dans ce bastion sunnite les milices chiites progouvernementales n'étaient pas présentes pour défendre la ville.

Ramadi est au coeur «du fief sunnite (...) où les habitants n'ont pas complètement rejeté l'EI. Cela ne veut pas dire qu'ils l'approuvent, mais ils ne soulèvent pas contre lui soit par peur soit pour se couvrir», explique Ayham Kamel, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du nord du groupe de réflexion Eurasia.

À Palmyre, les forces présentes sur le terrain sont loyales au président Bachar al-Assad. Or Washington a affirmé à plusieurs reprises qu'il était hors de question de coordonner ses raids avec les forces du régime et encore moins d'envoyer des troupes au sol.

Q: Quel avenir pour l'EI?

R: Les avancées du groupe contredisent les affirmations américaines sur le fait que l'EI serait «sur la défensive» après la perte de Tikrit et son échec à conquérir le camp palestinien de Yarmouk, dans le sud de Damas.

Si la coalition ne peut pas s'appuyer sur des forces au sol, il y a de grandes chances que l'EI, qui dispose de plusieurs milliers de combattants, dont un grand nombre sont prêts au martyre, remporte de nouveaux succès.

Pour l'EI, même de petites conquêtes lui permettent de crier victoire, constate Ayman Jawad al-Tamimi, du groupe de recherches Forum du Moyen-Orient. «Le slogan du groupe est 'baqiya wa tatamaddad' (rester et s'étendre). Il ne va peut-être toujours s'étendre, mais il va certainement rester».

Max Abrahms constate que la coalition est surtout réactive, c'est-à-dire qu'elle utilise sa puissance de feu une fois que le secteur est tombé aux mains de l'EI.

Tout en qualifiant la perte de Ramadi de «revers», le Pentagone a affirmé lundi que la guerre antidjihadiste continuerait à être faite «d'avancées et de reculs».

Les milices chiites autour de Ramadi

Des milices chiites ont commencé mardi à se rassembler aux portes de Ramadi pour tenter de reprendre cette ville avec les troupes irakiennes avant que les djihadistes du groupe armé État islamique n'en fassent une place forte.

Dans la Syrie voisine, le régime de Bachar al-Assad a subi un nouveau revers d'envergure en perdant son principal camp militaire dans la province d'Idleb (nord-ouest), conquis par une coalition de rebelles et de membres d'Al-Qaïda.

Critiqué après la chute de Ramadi dimanche, le premier ministre irakien Haider Al-Abadi s'est résolu à faire appel aux Unités de mobilisation populaire, une coalition de milices et de volontaires majoritairement chiites qu'il avait jusque là tenue à l'écart d'Al-Anbar pour éviter de s'aliéner la population majoritairement sunnite de cette province.

Ces combattants «ont commencé à arriver dans les zones à l'est de Ramadi», a annoncé à l'AFP le général Ali al-Majidi, s'exprimant sur une base à l'ouest de Bagdad.

Il a précisé que la priorité allait être donnée à faire échec aux attaques que mène l'EI à l'est de la ville avant qu'une contre-offensive globale ne soit lancée.

En agissant rapidement, les forces gouvernementales veulent éviter que les djihadistes ne disposent des engins explosifs et des mines sur les axes et dans les bâtiments de Ramadi, comme ils l'avaient fait à Tikrit, ralentissant ainsi la reconquête de cette ville au nord de Bagdad par le pouvoir en mars.

La conquête de Ramadi permet à l'EI, fort de dizaines de milliers d'hommes en Irak et en Syrie, de renforcer son emprise sur l'immense province d'Al-Anbar, frontalière de la Syrie et de l'Arabie saoudite, dont Ramadi est le chef-lieu.

Kerry «confiant»

Les États-Unis, alliés de poids de Bagdad, ont reconnu que la chute de Ramadi représentait un «revers» et que les milices chiites, dont certaines sont soutenues par l'Iran, avaient désormais «un rôle à jouer tant qu'elles sont sous le contrôle du gouvernement irakien».

Sur bien des fronts, ces milices bénéficiant du soutien de conseillers iraniens ont prouvé qu'elles étaient les mieux à même de lutter contre les djihadistes sunnites, comme l'a prouvé la reprise de Tikrit.

Le secrétaire d'État américain John Kerry s'est déclaré «absolument confiant» dans le fait que la situation pouvait être renversée en peu de jours.

Mais la chute de Ramadi a illustré la grande fragilité de l'armée, qui s'est retirée dans le désordre de ses dernières positions dimanche.

Des images diffusées par l'EI montrent des chars, transports de troupes et autres véhicules militaires ainsi que des armes et munitions abandonnées dans les bases de l'armée. D'autres montrent des djihadistes libérant des prisonniers.

Selon l'ONU, au moins 25 000 personnes ont été déplacées par les combats à Ramadi, où c'est la deuxième fois en un mois qu'un grand nombre d'habitants se voit obligé de fuir.

«Des milliers de personnes ont dû dormir à la belle étoile, car elles n'avaient pas où aller», a déclaré Lise Grande, coordinatrice humanitaire pour l'ONU en Irak.

Un camp militaire tombe en Syrie

En Syrie, les forces du régime sont mises en difficultés sur plusieurs fronts, en particulier dans la province d'Idleb (nord-ouest), où l'armée a perdu son dernier grand camp face à une coalition de rebelles et de membres d'Al-Qaïda.

«Toutes les troupes du régime se sont retirées de la base militaire d'al-Mastouma, la plus grande d'Idleb. Elle est totalement aux mains des rebelles», a affirmé à l'AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Le camp, qui regroupait plusieurs milliers de soldats et d'importants armements, est tombé en moins de 48 heures.

Le régime a perdu ces derniers mois le contrôle de l'essentiel de cette province située à la frontière avec la Turquie.

Dans ce contexte difficile, le président Assad a salué le soutien de son allié iranien, le qualifiant de «pilier important» dans la guerre contre les rebelles, en recevant un haut responsable iranien, le troisième à se rendre à Damas en moins d'une semaine.

- Avec Karim Abou Merhi et Maya Gebeily