Farroukh Charifov est rentré chez lui, au Tadjikistan, le 6 mai, après avoir déserté les rangs de l'État islamique (EI) en Syrie. Mais des milliers d'autres jeunes d'Asie centrale sont prêts à répondre à l'appel au djihad, poussant les autorités à adopter des mesures radicales.

«Nous sommes des centaines de jeunes à partir faire la guerre en Syrie», prévient d'une voix douce ce jeune homme de 25 ans, qui racontait récemment son histoire au cours d'une conférence de presse organisée par la police tadjike.

Lui est rentré, condamnant les actes «non-islamiques» et «diaboliques» de l'État islamique. Mais selon l'ONG International Crisis Group (ICG), de 2000 à 4000 habitants des cinq pays d'Asie Centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) auraient rejoint l'Irak et la Syrie depuis 2011.

Le président tadjik, l'autoritaire Emomali Rakhmon, a fini par s'inquiéter de l'émergence de l'EI dans le pays, qui cherche selon lui à «apporter les flammes de la guerre dans les ex-républiques soviétiques».

Rasage forcé, restrictions pour le pèlerinage annuel à la Mecque ou campagne contre le port du hijab, les mesures adoptées ont été radicales. Emomali Rakhmon a aussi lancé une agressive campagne médiatique contre l'EI et promis l'amnistie aux combattants djihadistes repentis.

«Il est probable qu'apparaître devant les médias faisait partie du marché passé par Charifov» pour obtenir cette amnistie, commente Edward Lemon, un chercheur de l'université d'Exeter, en Grande-Bretagne, suivant à la trace les combattants tadjiks au Moyen-Orient.

Une «propagande sophistiquée»

Mais quelques jours après la conférence de presse de Farroukh Charifov, les médias tadjiks rapportaient la défection d'un commandant des forces spéciales tadjikes, Goulmourod Halimov.

Citant des sources dans les services de sécurité, ceux-ci ont affirmé que lui et plusieurs de ses collègues avaient rejoint l'EI après avoir fait la propagande du groupe djihadiste dans les rangs de la police.

«Il n'a pas été vu depuis le début du mois de mai. Nous ne savons pas s'il est vivant, ni où il est», a seulement déclaré à l'AFP un porte-parole du ministère tadjik de l'Intérieur, tandis que des proches de Goulmourod Halimov ont expliqué à des médias locaux que le policier s'était renseigné sur internet sur le groupe djihadiste et ses tactiques de combat.

«L'EI est une nouvelle menace» pour la région, explique la directrice pour l'Asie centrale de l'ICG, Deirdre Tynan. «Leur propagande est sophistiquée et ils ont les moyens de toucher les habitants d'Asie Centrale», ajoute-t-elle.

En janvier, l'organisation djihadiste avait diffusé la vidéo d'un jeune garçon, disant s'appeler Abdullah et venir du Kazakhstan, exécutant deux hommes accusés de travailler pour les services de renseignements russes.

Pour Farroukh Charifov, l'enrôlement dans l'EI était passé par le réseau social russe Odnoklassniki, où une ancienne camarade de classe «lui avait déclaré son amour», a-t-il raconté.

Méthodes controversées

Mais pour leurs opposants, les gouvernements d'Asie centrale utilisent la menace djihadiste pour justifier une répression grandissante. Plusieurs sites internet ou réseaux sociaux ont ainsi été bloqués, officiellement parce qu'ils servaient de moyen de propagande pour l'EI.

Selon le département d'État américain, qui juge cette situation «particulièrement préoccupante», l'Ouzbékistan et le Turkménistan figurent parmi les pays où la liberté de culte est la plus menacée.

En Ouzbékistan, la lutte contre les extrémistes religieux passe par des documentaires télévisés produits par l'État, où ceux arrêtés alors qu'ils tentaient de rejoindre l'EI sont jetés en pâture.

Dans le Kirghizistan voisin, Rachot Kamalov, un imam influent et l'une des voix les plus critiques contre le gouvernement, a été arrêté en février. Il est accusé d'avoir incité les djihadistes à rejoindre la Syrie, une affaire montrée de toute pièce selon les groupes de défense des droits de l'Homme du pays.

Mais les analystes considèrent que le Tadjikistan, qui vient de condamner 19 personnes à des peines allant de neuf ans et demi à 17 ans et demi de prison pour «extrémisme», est particulièrement vulnérable à la propagande du groupe.

«Notre pays vit une période de transition, avec un taux de pauvreté de 32 %», a expliqué Khoudoberdi Kholiknazar, directeur du Centre d'études stratégiques, lors d'une table ronde organisée au début du mois, rappelant que des groupes extrémistes promettaient de l'argent aux candidats au djihad, un argument de poids dans un pays au fort taux de chômage.