L'organisation État islamique (EI) est-elle vraiment derrière l'attentat-suicide qui a fait une trentaine de morts en Afghanistan ce weekend? Le président afghan Ashraf Ghani semble le croire, mais des analystes restent prudents sur l'expansion de ce groupe jihadiste dans le berceau des talibans.

L'attentat-suicide perpétré samedi devant une banque privée de Jalalabad, la grande ville de l'Est afghan près de la frontière pakistanaise, a fait 34 morts et 100 blessés. C'est l'attaque la plus meurtrière en Afghanistan depuis novembre et qui fait craindre une nouvelle «saison des combats» d'une violence inouïe.

Les talibans afghans ont aussitôt rejeté toute responsabilité, mais un ex-porte-parole des talibans pakistanais du TTP (Tehreek-e-Taliban Pakistan), limogé pour avoir plaidé allégeance à l'EI, a revendiqué l'attaque.

«Qui a revendiqué cet attentat épouvantable? Les talibans n'ont pas revendiqué cet attentat, Daesh a revendiqué cet attentat», a rapidement déclaré le président Ghani, en référence à l'acronyme arabe de l'EI, l'organisation d'Abou Bakr al-Baghdadi qui a proclamé un califat sur des pans entiers de l'Irak et la Syrie, et attire des jihadistes dans la région Afghanistan/Pakistan.

Au cours des derniers mois, des responsables afghans ont répété leurs craintes d'une contagion de l'EI dans la région, alors que s'ouvre une période d'incertitude avec la fin de la mission de combat de l'OTAN en Afghanistan.

Mais des observateurs soupçonnent les autorités de vouloir grossir l'importance de l'EI afin de recevoir davantage de subsides des pays occidentaux et maintenir l'attention de la communauté internationale sur l'Afghanistan, au moment où l'OTAN réduit la voilure.

Cette «revendication» d'un ex-taliban, doublée de la réaction du président Ghani, laisse analystes et commentateurs sceptiques. «En Afghanistan, l'EI tient plus de la guerre psychologique, plus du mythe que de la réalité. Et malheureusement le président Ghani tombe dans le jeu, soit intentionnellement soit par ignorance», avance Amrullah Saleh, ancien chef des services de renseignement afghans (NDS).

«Est-ce que Abou Bakr al-Baghdadi a revendiqué l'attaque de Jalalabad? Non. Hormis la revendication d'un insurgé, est-ce que l'Afghanistan a la moindre preuve que l'EI est derrière cette attaque? Si Ghani a des preuves, il devrait les rendre publiques», a ajouté M. Saleh.

«L'Afghanistan est éloigné à la fois géographiquement et idéologiquement de l'EI», estime Graeme Smith, spécialiste de l'Afghanistan à l'International Crisis Group (ICG), un centre de recherche spécialisé sur les conflits, notant que la tradition de jurisprudence islamique évoquée par l'EI diffère de celle en vigueur en sol afghan.

«Il n'est pas évident de savoir où l'Afghanistan figure sur la liste des priorités de l'EI», dit-il à l'AFP.

Le sceau de l'EI?

Et dans une région qui a vu naître Al-Qaïda et les talibans, plusieurs jihadistes locaux semblent aujourd'hui rivaliser afin d'être adoubés par l'organisation État islamique qui semble, selon eux, avoir le vent en poupe.

Dans une vidéo diffusée en janvier sur des forums jihadistes, une dizaine d'ex-cadres talibans, principalement pakistanais, mais aussi afghans, avaient prêté collectivement allégeance à l'EI et à son chef Abou Bakr al-Baghdadi. Et deux autres ex-commandants talibans soupçonnés de ralliement à l'EI ont été tués dans des frappes de drones.

Mais ces combattants sont-ils les hommes de Baghdadi ou de simples candidats au «Jihad Academy» de l'EI? Pour J.M. Berger, coauteur d'un ouvrage récent sur l'EI, cette organisation est bien «présente en Afghanistan depuis un certain temps», mais cela ne veut pas dire qu'elle soit l'architecte de l'attentat de Jalalabad.

«Nous devons rester prudents tant que nous n'aurons pas de revendication d'un des médias officiels de l'EI», dit-il à l'AFP. «Mais si nous voyons des attaques du genre se succéder, un (nouveau) modèle va peut-être émerger», souligne-t-il.

L'attaque de Jalalabad semble de bien mauvais augure pour l'Afghanistan alors que s'amorce la «saison des combats», la reprise des affrontements qui coïncident avec le redoux printanier.

L'OTAN a mis fin en décembre à sa mission de combat et ne compte aujourd'hui que sur 12 500 soldats, dont le mandat est de former les forces afghanes. Résultat, celles-ci amorcent seules, pour la première fois, cette «saison des combats» alors que les talibans du mollah Omar refusent de discuter de paix et que les rumeurs d'une présence de l'EI s'intensifient.