Le sud-est de la Turquie restait sous couvre-feu, mercredi, après de violentes manifestations de la communauté kurde du pays contre le refus du gouvernement d'intervenir en Syrie qui ont viré à l'émeute et fait au moins 18 morts.

Sans précédent ces dernières années, cette vague de protestation a contraint les autorités, pour la première fois depuis 1992, à imposer un couvre-feu dans six provinces du pays peuplées en majorité de Kurdes et menace de faire dérailler le fragile processus de paix engagé entre la rébellion kurde et Ankara.

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Selon le dernier décompte compilé par les médias turcs, un total de 18 personnes ont été tuées mardi. Le précédent bilan faisait état de 14 victimes.L'essentiel des affrontements s'est concentré à Diyarbakir, considérée comme la «capitale» du sud-est kurde, où dix personnes ont été tuées, a confirmé lors d'une conférence de presse le ministre de l'Agriculture Mehdi Eker.

«La plupart des victimes (recensées à Diyarbakir) sont mortes par balle» lors de heurts entre militants proches des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et partisans de mouvements islamistes, a indiqué M. Eker.

Originaire de Diyarbakir, le ministre a attribué la responsabilité de ces violences à un «lobby du chaos» désireux «d'empoisonner le processus de paix» et a appelé ses concitoyens à «se retenir d'exprimer leur haine» et ne pas redescendre dans les rues.

La situation était tendue, mais calme à la mi-journée dans Diyarbakir, où des soldats et des blindés patrouillaient depuis le début de la journée dans des rues largement vides de cette ville de plus d'un million d'habitants, a constaté un correspondant de l'AFP.

De nouveaux heurts ont toutefois été signalés mercredi entre militants kurdes et la police à Agri et Karliova (sud-est), où les commerces étaient fermés, selon les médias.

Partie d'un appel lancé lundi soir par le principal parti kurde de Turquie, le Parti démocratique populaire (HDP), la vague de protestation a embrasé mardi tout le pays.

Dans le sud-est comme à Istanbul ou Ankara, les manifestants, en colère contre le refus d'Ankara d'intervenir militairement contre les djihadistes du groupe État islamique (EI) qui font le siège de la ville syrienne kurde de Kobané, ont affronté les forces de l'ordre et détruit de nombreux bâtiments publics, commerces et véhicules.

Bataille rangée

Ces heurts ont souvent dégénéré en bataille rangée, et armée, entre militants proches du PKK et des adversaires politiques.

Outre Diyarbakir, des morts ont ainsi été recensés à Mus, Siirt, Mardin, Batman et Van (sud-est), dont de nombreux districts étaient soumis mercredi au couvre-feu, au moins jusqu'à jeudi matin. La compagnie nationale Turkish Airlines a de son côté annulé tous ses vols vers Diyarbakir jusqu'à nouvel ordre.

À Ankara, le premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu a réuni à 11 h GMT (7 h à Montréal) une réunion de sécurité pour faire le point sur les événements.

Mardi soir, le vice-premier ministre Yalcin Akdogan a mis en garde les manifestants. «Nous ne tolèrerons jamais le vandalisme et les autres actes de violence qui n'ont pour seul et unique but que de perturber la paix».

Face à cette situation, le chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), a exhorté le gouvernement à changer sa politique en Syrie, principal grief des manifestants.

«La Turquie a invité le bourbier du Moyen-Orient sur son sol», a estimé Kemal Kiliçdaroglu, «aujourd'hui elle est elle-même prise dans ce bourbier».

Malgré le feu vert la semaine dernière du Parlement à une opération militaire contre l'EI, Ankara s'est jusque-là refusé à intervenir pour aider les combattants kurdes qui défendent Kobané, pourtant à portée de canons des chars de l'armée turque.

Les autorités turques jugent les frappes aériennes de la coalition internationale dirigée par les États-Unis contre l'EI insuffisantes et redoutent qu'elles ne renforcent le régime du président syrien Bachar al-Assad, leur principal ennemi.

Le chef emprisonné du PKK Abdullah Öcalan a prévenu que la chute de Kobané signerait la fin des efforts de paix engagés il y a deux ans pour mettre un terme à un conflit qui a fait quelque 40 000 morts depuis 1984.

«La paix menacée», a titré mercredi le quotidien à gros tirage Hürriyet.