Les forces kurdes appuyées par des raids américano-arabes résistaient samedi aux attaques de djihadistes contre une ville clé en Syrie, après la révulsion suscitée dans le monde par la décapitation par le groupe Etat islamique (EI) d'un quatrième otage occidental.

Le premier ministre britannique David Cameron a parlé d'un «acte odieux» et les États-Unis ont promis de continuer d'agir pour «affaiblir et à terme de détruire l'EI», à la suite de la diffusion vendredi par le groupe djihadiste d'une vidéo montrant l'exécution d'Alan Henning en représailles aux frappes britanniques en Irak.

Dans ce dernier pays, les États-Unis sont aidés dans les raids contre l'EI par les avions britanniques et français. En Syrie voisine, ils sont rejoints par leurs alliés arabes qui frappent ces djihadistes notamment aux portes de Kobané (nord), à la frontière turque.

Les raids des avions de combat et des drones ont surtout visé les fronts sud et sud-est, à quelques km de Kobané (Aïn al-Arab en arabe), la troisième ville kurde de Syrie que l'EI tente de prendre depuis le 16 septembre, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), en faisant état de cinq djihadistes tués.

L'armée américaine a confirmé quatre frappes autour de Kobané et cinq à Raqa et Hassaké (nord) où selon l'ONG 30 combattants de l'EI ont aussi péri.

Les combats se concentrent au sud de Kobané où l'EI tente de s'emparer d'une colline stratégique qui leur donnerait accès à la ville défendue par les Unités de protection du peuple (YPG, la principale milice kurde) et des rebelles syriens, a ajouté l'OSDH.

Les obus continuent en outre de pleuvoir sur la ville, selon un militant sur place, Mustafa Ebdi.

«Les djihadistes disaient qu'ils feraient leurs prières de l'Aïd (al-Adha) à Kobané, mais pour l'instant ils ne sont pas entrés dans la ville», a ajouté le militant, en allusion à la fête musulmane célébrée de samedi à mardi.

La prise de Kobané permettrait à l'EI de contrôler sans discontinuité une longue bande de territoire à la frontière turque.

Du poste-frontière turc de Mursitpinar tout proche, une journaliste de l'AFP pouvait voir les tirs d'obus sur la ville.

«Nous avons des proches là-bas, c'est pour cela que nous sommes là. Bien sûr, on ne peut pas faire grand-chose, mais nous voir ici leur remonte le moral», lance Mahmut Cokmez, un Kurde, près du poste-frontière.

Pour Saleh Ay, les frappes de la coalition arrivent «trop tard. On ne voit aucun résultat sur le terrain».

Des soldats turcs se sont déployés sur les collines, certains dirigeant leur fusil vers la ville syrienne, d'autres scrutant l'horizon avec des jumelles.

Après le feu vert donné par le Parlement turc pour une intervention militaire contre l'EI en Syrie et en Irak, le président Recep Tayyip Erdogan a menacé de représailles si l'EI attaquait le tombeau d'un dignitaire ottoman situé en territoire syrien, mais sous souveraineté turque.

Dans une nouvelle vidéo réalisée selon le même scénario que les trois précédentes décapitations d'otages occidentaux, l'EI a annoncé l'exécution d'Alan Henning, 47 ans, un chauffeur de taxi enlevé en décembre alors qu'il accompagnait un convoi humanitaire en Syrie.

À la fin de la séquence intitulée «Nouveau message à l'Amérique et ses alliés», l'EI présente un autre otage américain, Peter Kassig, et menace de le tuer.

L'épouse d'Alan Henning s'est déclarée, elle et ses deux enfants, «accablée de douleur», alors que les parents de Peter Kassig ont imploré ses ravisseurs de «faire preuve de compassion et de libérer» leur fils.

Organisation barbare

«(...) Nous allons utiliser tous nos moyens (...) pour vaincre cette organisation impitoyable, insensée et barbare», a martelé David Cameron, alors que des centaines de manifestants ont protesté à Londres contre les frappes en Irak.

L'Union européenne a condamné une «nouvelle illustration de la stratégie de terreur de l'EI», qui avait déjà décapité depuis fin août deux journalistes américains et un humanitaire britannique enlevés en Syrie.

En Irak, où l'armée américaine a poursuivi ses frappes entamées le 8 août, l'armée aidée de tribus sunnites et de milices chiites a gagné du terrain au nord de Bagdad en reprenant 80 % de la ville de Doulouiya, mais en a perdu à l'ouest de la capitale.

Fort de dizaines de milliers d'hommes recrutés sur place et à l'étranger notamment en Occident, l'EI a profité de la guerre civile en Syrie et de l'instabilité en Irak pour s'emparer de larges pans de territoires dans ces deux pays.

Accusé de crimes contre l'Humanité et de nettoyage ethnique, ce groupe est responsable de multiples exactions -viols, rapts, exécutions, persécutions- dans le «califat» qu'il a proclamé à cheval entre la Syrie et l'Irak.

Les États-Unis confrontés aux limites des frappes aériennes

La bataille de Kobané, troisième ville kurde au nord de la Syrie assiégée par les jihadistes du groupe Etat islamique, illustre les limites de la campagne de frappes aériennes menée par les États-Unis et leurs alliés.

Les avions de combat et drones de la flotte la plus puissante du monde ont mené près d'une quinzaine de raids cette semaine sans pouvoir apparemment changer le cours de l'assaut jihadiste sur cette région frontalière avec la Turquie lancé depuis le 16 septembre.

La prise de cette ville, où il ne resterait plus que quelques milliers de civils, permettrait au groupe extrémiste de contrôler sans discontinuité une longue bande de territoire frontalière de la Turquie.

Selon des experts et d'anciens responsables militaires américains, la résistance désespérée des Kurdes qui mènent, avec l'appui des rebelles syriens, une lutte disproportionnée contre les combattants de l'EI, montre bien les limites d'une intervention exclusivement aérienne sans appui au sol pour guider les frappes et assurer la présence d'alliés bien organisés sur le terrain qui puissent tirer avantage des raids aériens.

Les combattants kurdes sont loin de former une armée bien organisée et ils sont sous-équipés, affirme Seth Jones, un ancien conseiller auprès des forces spéciales américaines.

«Les Kurdes font face à des combattants de l'EI bien organisés et bien équipés», explique-t-il. «Il s'agit d'un problème plus large qui concerne toute la Syrie où l'intervention américaine n'est pas vraiment bien coordonnée avec des forces sur le terrain, en partie à cause du nombre pléthore de groupes rebelles».

Les frappes aériennes autour de Kobané, la plus petite des trois régions du Kurdistan syrien, ont été jusqu'ici relativement limitées dans leur nombre et leur puissance si l'on compare avec d'autres lieux, ce qui reflète, selon des experts, le manque d'informations dont disposent les renseignements.

Sans appui terrestre aux frappes aériennes à Kobané, les pilotes de chasse ont sans doute du mal à distinguer les alliés des ennemis, d'autant plus que les jihadistes se mêlent aux civils pour dissimuler leurs positions, selon Ben Connable, un ancien agent de renseignement dans le Corps des Marines.

«Nous n'avons probablement pas suffisamment de bonnes sources nous permettant d'identifier les prochaines cibles», suggère cet expert aujourd'hui auprès du groupe de réflexion RAND corporation.

Même avec des caméras ultra-sophistiquées et des capteurs dont sont équipés les avions américains, ajoute-t-il, il est difficile d'identifier des cibles ennemies notamment par mauvais temps.

Trop prudent

Des responsables kurdes et américains accusent le président Barack Obama de pêcher par excès de prudence. Ils affirment que des frappes aériennes américaines à pleine puissance pourraient mettre un terme à l'avancée des islamistes.

Le lieutenant général David Deptula, aujourd'hui à la retraite, estime que la campagne aérienne est freinée par des lourdeurs administratives notamment pour approuver des frappes.

«Sur le terrain, on a le sentiment qu'il y a trop de personnes qui tentent de s'immiscer dans la gestion des frappes aériennes», affirme ce haut responsable, qui a dirigé des campagnes aériennes en Irak et en Afghanistan.

À Kobané, appelée Aïn al-Arab en arabe, «on a besoin d'une surveillance 24 heures/24 et à chaque fois que des troupes, véhicules ou des armes appartenant à l'EI sont repérées il faut être en mesure de frapper immédiatement», dit-il.

Or le processus d'approbation des frappes remonte à la guerre en Afghanistan où l'armée américaine a pris des précautions extrêmes après une série de bavures qui ont coûté la vie à des civils.

Mais selon lui, la guerre en Syrie et en Irak est bien différente puisque les cibles sont le plus souvent des combattants à bord de camions et en mouvement.

Le secrétaire à la Défense Chuck Hagel a balayé ces accusations, soutenant que le chef du Commandement central pour le Moyen-Orient et l'Asie centrale (Centcom), le général Lloyd Austin, avait toute autorité pour diriger la campagne des frappes.

«L'idée selon laquelle la guerre est dirigée depuis la Maison-Blanche est fausse. Le général Austin a toute l'autorité dont il a besoin», a affirmé un haut responsable américain sous couvert de l'anonymat.

Le Pentagone a suggéré vendredi que les frappes aériennes en Syrie n'étaient pas forcément destinées à changer le cours de telle ou telle bataille mais visaient à perturber l'approvisionnement en hommes et en matériel afin d'aider l'armée irakienne à combattre l'EI de l'autre côté de la frontière.

«Je souligne une fois encore que l'objectif en Syrie est d'éliminer le sanctuaire et le refuge dont ils disposent», a affirmé le contre-amiral John Kirby. «En Irak, il s'agit de se concentrer sur une assistance des forces de sécurité irakiennes et des forces kurdes au sol».