Le Parlement turc a autorisé jeudi une intervention militaire contre les djihadistes en Irak et en Syrie, où la ville kurde de Kobané, frontalière de la Turquie, était asphyxiée par le groupe État islamique (EI).

En Irak, deux attaques de l'EI contre des bases des forces de sécurité ont fait 17 morts parmi les policiers et les soldats dans la province d'Al-Anbar frontalière de la Syrie, à l'ouest de Bagdad, selon des sources de la sécurité qui ont fait état de la mort de 40 djihadistes.

En Syrie, «les djihadistes sont désormais à moins d'un kilomètre à l'est et au sud-est de Kobané et la ville est totalement asphyxiée» à l'exception de l'accès au nord, a indiqué Rami Abdel Rahmane, le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Mais les combattants kurdes sont déterminés à mener des «batailles de rue» pour défendre Kobané (Aïn al-Arab en arabe), troisième ville kurde de Syrie située dans le nord, a-t-il ajouté.

«Nous sommes prêts au combat», a affirmé un responsable kurde local, Idriss Nahsen, alors que Kobané est défendue par les Unités de protection du peuple (YPG), milice kurde dont les hommes sont moins bien équipés et bien moins nombreux que les djihadistes.

Du côté turc de la frontière, les tirs d'obus de mortier étaient clairement audibles.

Selon l'OSDH, la ville «s'est vidée à 90% de ses habitants et les villages environnants sont quasiment déserts et contrôlés par l'EI». Il ne resterait que quelques milliers de civils à Kobané, qui comptait 70 000 habitants avant la guerre et avait accueilli un nombre équivalent de réfugiés d'autres zones syriennes.

La chute de Kobané permettrait à l'EI de contrôler sans discontinuité une longue bande frontalière de la Turquie.

L'EI, qui contrôle déjà de vastes régions dans le nord et l'est de la Syrie ravagée par plus de trois ans de guerre civile, a lancé le 16 septembre son assaut pour s'emparer de la ville, prenant près de 70 villages et entraînant la fuite d'au moins 160 000 personnes en Turquie.

Zone-tampon

Face à la menace grandissante de l'EI à sa porte, le Parlement d'Ankara a approuvé à une très large majorité un projet de résolution du gouvernement islamo-conservateur autorisant l'armée à mener des opérations contre les djihadistes en Syrie et en Irak au sein de la coalition menée par les États-Unis et à laquelle prennent part à différents degrés une cinquantaine de pays.

Le texte donne son feu vert à une éventuelle opération militaire turque sur les territoires syrien et irakien et autorise également le stationnement sur le sol turc de troupes étrangères participantes.

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu a convoqué une réunion des principaux responsables civils et militaires juste après ce vote pour préciser les modalités de l'engagement turc auprès de la coalition.

Alimentant les spéculations sur la menace djihadiste, le commandant en chef de l'armée turque a publié jeudi un inhabituel message de soutien à la trentaine de soldats chargés de la surveillance d'une petite enclave turque située à une vingtaine de kilomètres à l'intérieur du territoire syrien.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a jugé mercredi que les actuelles frappes aériennes de la coalition ne constituaient qu'une «solution temporaire», milite pour la création dans le nord de la Syrie d'une zone-tampon destinée à protéger les réfugiés syriens et le territoire turc.

L'Iran inquiet

De son côté, le chef historique des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, en prison en Turquie, a une nouvelle fois exhorté les Kurdes à combattre l'EI «afin que le processus et le voyage de la démocratie n'échouent pas en Turquie».

Quant aux rebelles «modérés» qui luttent contre le régime Assad en Syrie et sont censés combattre l'EI, John Allen, qui coordonne la coalition internationale, a prévenu que leur entraînement en cours «prendrait peut-être des années».

M. Allen est arrivé en Irak jeudi pour des entretiens sur la lutte contre l'EI, a indiqué le département d'État précisant qu'il devait également se rendre dans les prochains jours en Belgique, en Jordanie, en Égypte et en Turquie.

Peu après le feu vert turc,  le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif  «s'est inquiété de toute action qui aggraverait la situation» dans la région, au cours d'un entretien téléphonique avec son homologue turc Mevlüt Cavusoglu, selon l'agence officielle iranienne IRNA.

L'Iran, poids lourd chiite de la région, soutient le gouvernement du président syrien Bachar al-Assad alors que la Turquie a appuyé les rebelles syriens, essentiellement sunnites.

Selon le commandement américain pour le Moyen-Orient (Centcom), la coalition a procédé mercredi et jeudi à quatre frappes en Syrie, dont une près de Kobané, avec l'aide des Émirats arabes unis, et sept en Irak avec le Royaume-Uni.

Washington et Paris saluent le feu vert turc

La diplomatie américaine a salué jeudi le feu vert du Parlement turc à une action militaire contre le groupe État islamique en Syrie et en Irak, après des semaines de pression de Washington sur Ankara très réticente.

«Nous avons été étroitement impliqués aux côtés de la Turquie. Nous accueillons favorablement ce vote du Parlement qui autorise une action militaire turque», a commenté la porte-parole du département d'État Jennifer Psaki.

Face à la menace grandissante de l'EI à sa porte, le Parlement d'Ankara a approuvé à une très large majorité un projet de résolution du gouvernement islamo-conservateur autorisant l'armée à mener des opérations contre les djihadistes en Syrie et en Irak au sein de la coalition menée par les États-Unis et à laquelle prennent part, à différents degrés, une cinquantaine de pays.

«Nous avons eu de nombreuses discussions à haut niveau avec des responsables turcs pour voir comment faire progresser notre coopération de lutte contre l'EI en Irak et en Syrie. Cela va se poursuivre et nous avons hâte de renforcer cette coopération», a vanté Mme Psaki lors de son point de presse quotidien.

Elle faisait allusion à la tournée de son ministre John Kerry mi-septembre dans des pays arabes et en Turquie pour mettre sur pied la coalition internationale contre les jihadistes ultra-radicaux sunnites.

Le secrétaire d'État avait rallié les six pays du Golfe ainsi que l'Égypte, le Liban, la Jordanie et l'Irak à des actions militaires, mais la Turquie était restée en dehors du jeu, notamment en raison d'une cinquantaine d'otages aux mains des djihadistes et qui ont depuis été libérés.

Le coordonnateur de cette coalition internationale, le général américain à la retraite John Allen, et son adjoint Brett McGurk, sont d'ailleurs depuis jeudi en Irak, avant de se rendre en Belgique, en Jordanie, en Égypte et en Turquie, a annoncé le département d'État.

À Ankara, alliée de Washington et membre de l'Otan, les deux responsables américains «parleront avec des dirigeants militaires et politiques turcs des contributions possibles à la coalition internationale, en particulier pour la lutte contre la menace posée par les combattants étrangers», a relevé Mme Psaki.

Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a quant à lui qualifié jeudi à Washington de «nouvelle très positive» le feu vert du Parlement turc à une action militaire contre les djihadistes de l'État islamique.

«C'est une nouvelle très positive», a affirmé le ministre lors d'une conférence de presse, à l'issue d'un entretien avec son homologue américain Chuck Hagel.

«L'ensemble des pays voisins (de la Syrie et de l'Irak, ndlr) se trouvent maintenant dans la coalition. Et que la Turquie rejoigne cette coalition est une bonne nouvelle», a-t-il ajouté.

La France participe depuis la mi-septembre aux frappes aériennes contre le groupe EI en Irak.

Le ministre français doit rencontrer vendredi matin la conseillère à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Susan Rice, avant de s'entretenir dans l'après-midi à New York avec le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon.