« S'il n'en tenait qu'à moi, je les décapiterais tous! »

Il y a 20 ans, Mahida Ahmad Rashid était l'une des seules femmes à se battre, aux côtés des peshmergas, contre l'armée de Saddam Hussein. Aujourd'hui, la colonelle Rashid dirige l'unique bataillon féminin des forces kurdes en Irak. Désormais, elle est engagée dans une lutte sans merci contre les islamistes.

Pour elle, comme pour les 500 femmes enrôlées sous ses ordres, il ne s'agit pas seulement de protéger le Kurdistan irakien, dont la fragile liberté a été acquise au prix du sang de tant de ses compatriotes. Cette fois, c'est aussi une lutte pour les femmes. À commencer par les milliers qui sont tombées entre les griffes des djihadistes. Et qui y sont toujours.

« Ces crimes contre les femmes captives à Mossoul et ailleurs, c'est ce qui nous fait tant détester l'EI, dit-elle. Dernièrement, un djihadiste de 35 ans s'est vanté sur sa page Facebook d'avoir marié une fillette de 9 ans. Il la viole tous les jours. Ces horreurs renforcent notre détermination à combattre. »

Depuis que l'EI a déboulé sur le nord de l'Irak, en juin, une quarantaine de femmes se sont portées volontaires, avides de prendre part à la chasse aux islamistes. Mais ne s'enrôle pas qui veut dans les peshmergas. Kalachnikovs à l'épaule, les soldates basées au camp militaire de Souleimaniye subissent un entraînement intense avant de partir au front. Jusqu'ici, elles ont surtout servi en deuxième ligne, en soutien à leurs collègues masculins. Mais bientôt, ce sera leur tour, leur promet-on. Toutes partagent le même objectif: anéantir ces fanatiques qui réduisent les femmes en esclavage au nom d'Allah.

« J'irai à Mossoul pour libérer les femmes retenues prisonnières par les criminels de l'EI. Je me battrai jusqu'à ma dernière goutte de sang pour les libérer », jure Amira Karim Darwesh Mahmoud, une peshmerga de 50 ans.

« Aucune bête ne ferait cela à une femme », renchérit Awawa Hasib. Mariée, la jeune mère de 23 ans ne craint pas de laisser sa petite fille orpheline. « Si je meurs pour protéger le Kurdistan, j'en serai fière. Je ne sacrifierai pas mon pays pour mon propre bien-être ni pour celui de ma famille. »

Un revers douloureux

Les peshmergas. « Ceux qui défient la mort », en langue kurde. Au Moyen-Orient, ces combattants sont légendaires. Pendant des décennies, ils ont résisté au régime sanguinaire de Saddam Hussein. Mais aujourd'hui, murmure-t-on au Kurdistan irakien, ils ramollissent.

Quand les combattants de l'EI ont fondu sur la région du Sinjar, en août, les peshmergas ont résisté quatre heures avant de se replier, abandonnant des dizaines de milliers de Yézidis à leur sort. Bien des Kurdes ne leur ont pas pardonné ce douloureux revers.

Depuis la chute de Saddam, le Kurdistan irakien est sans doute le seul success-story de ce pays en naufrage. Pendant que le reste de l'Irak s'enfonçait, le territoire autonome a prospéré. Mais trop de confort ne fait pas de bons soldats, entend-on dans la rue. Partout, on accuse les vaillants peshmergas de s'être embourgeoisés et de ne plus vouloir se battre; ils ont trop à perdre.

Au front, les plus intrépides sont souvent les plus désespérés. Comme les Kurdes de Syrie. Comme les Yézidis.

Rien à perdre

Le camp de Newroz, près de la ville de Dayrik, en Syrie. Six mille Yézidis ont trouvé refuge ici après avoir été chassés de la région du Sinjar par les combattants de l'EI. Sous la tente de Zahra Shamo, où un groupe de réfugiés s'est réuni, les histoires d'horreur se bousculent, plus terribles les unes que les autres.

Des islamistes qui décapitent un bébé et donnent la tête à sa mère. Un homme qui, ayant perdu tout espoir de s'échapper, tue sa propre mère avant de se suicider. Dix filles qui se jettent dans le vide en se tenant par la main, préférant la mort à la capture...

Zahra Shamo secoue la tête, dégoûtée. « J'ai vu de mes yeux les corps décapités, les têtes qui gisaient à côté. Ces gens sont des monstres! » Son mari est resté sur le mont Sinjar pour se battre. Sa fille Nergez, 24 ans, a rejoint les rangs des YPG, la guérilla kurde syrienne. Elle apprend les rudiments de la guerre. « Je veux qu'elle sache manier une arme. Bientôt, elle ira rejoindre son père. »

Zahra ne craint pas pour sa fille. Elle en est fière. « Les combattants de l'IE nous ont tout pris. Ils ont pillé nos maisons, ils ont kidnappé nos femmes et nos filles. Nous n'avons plus rien à perdre. Nous avons déjà tout perdu. »

PHOTO ANDRE W. NUNN, COLLABORATION SPÉCIALE

Comme 6000 Yazidis, Zahra Shamo a trouvé refuge au camp syrien de Newroz après avoir été chassée de la région du Sinjar par les combattants de l'EI.